Partie III. Le Gouvernement et ses rapports avec le parlement : le type de régime
Traditionnellement il existe deux grands types de régimes représentatifs : le régime présidentiel, aussi nommé système américain, et le régime parlementaire, aussi appelé système européen, selon l’identité de la personne qui possède le rôle de chef de gouvernement et ce que cela implique. L’État archétypal du régime présidentiel sont les États-Unis d’Amérique, tandis que pour le régime parlementaire, on peut se référer au fonctionnement de l’un des nombreux régimes représentatifs européennes, comme le Royaume-Unis ou l’Allemagne. Le cas de la France est très particulier et mériterait d’être évoqué après avoir vu les deux premiers systèmes. Mais commençons par examiner les deux grands types de régime en commençant par ce qui se fait chez l’oncle Sam.
1) Le Régime présidentiel Dans le régime présidentiel, le chef de gouvernement, c’est-à-dire celui qui est chargé de coordonner l’action des membres du gouvernement, et qui est aux commandes de l’appareil exécutif du pays, est également le Chef de l’État. Le Chef de l’État est la personne chargée de la fonction symbolique bien que tout aussi politique que les autres d’incarner la continuité de l’État et l’unité de la population, et représente l’ensemble des citoyens devant les puissances étrangères. Mais surtout il sert d’un point de vue pragmatique, ou est censé servir, de figure de proue autours de laquelle les citoyens puissent se rassembler : idéalement, il a un rôle politique fédérateur de la population. Dans une république le Chef d’État est un Président, tandis que dans une monarchie, c’est le Monarque.
Quoi qu’il en soit, dans le régime présidentiel, le Chef d’État possède l’autorité sur le pouvoir exécutif, faisant de lui le chef du gouvernement, nommant des ministres ou secrétaires d’État qui appliqueront sa volonté dans les différents domaines du pouvoir exécutif. On parle alors d’un exécutif « monocéphale », avec une seule tête, car les deux chefs de l’État et du gouvernement sont la même personne.
Evidemment, pour que ce type de régime soit « démocratique », il ne peut être qu’une république, le chef d’État ne peut pas être un monarque désigné par l’hérédité.
Pour établir la légitimité du Président devant le parlement, ce dernier doit donc être élu par le peuple au suffrage direct. Ce n’est techniquement pas le cas aux États-Unis, mais les électeurs élisent des gens qui promettent d’élire un candidat en particulier, et dans les faits la campagne électorale présidentielle se passe comme si l’élection se déroulait au suffrage direct.
Or, le parlement est aussi élu au suffrage direct, le gouvernement comme le parlement sont donc tous les deux tout aussi légitimes l’un que l’autre.
Dans ce système, parlement et gouvernement sont donc tout aussi légitimes l’un que l’autre car désignés par le suffrage universel direct. Mais, dès lors que ces deux institutions sont d’une légitimité égale, en cas de conflit entre les deux, l’une ne peut faire valoir la priorité sur l’autre. Et dans le cas où le gouvernement et le parlement seraient en désaccord, aucun ne peut faire plier l’autre, ce qui peut amener à des blocages puissants, appelé « Shutdown » aux États-Unis.
Un exemple de Shutdown est ce qu’il s’est passé en octobre 2013, lorsque l’administration Obama avait décidée d’un budget pour l’administration, le parlement américain avait refusé plusieurs fois de le voter. Le gouvernement d’Obama n’avait pas le pouvoir de faire plier le parlement, et le parlement n’avait pas le pouvoir de décider d’un autre budget seul ou de changer le gouvernement ce qui, au premier octobre 2013, faisait que de nombreux fonctionnaires américains s’étaient retrouvés sur le carreau.
Le régime présidentiel implique ce qu’on appel une « séparation stricte des pouvoirs », c’est-à-dire que non seulement les pouvoirs exécutifs et législatifs appartiennent à des institutions différentes, mais en plus ces institutions ne peuvent pas infléchir sur les actions de l’autre. Ce qui, en cas de désaccord entre les deux pouvoirs, mène à des situations de blocage parfois insurmontables.
Ce système n’est pas désirable pour le modèle d’institutions proposées dans ces pages. Car le but est, je le rappelle, d’avoir des institutions qui soient le plus représentatives possible du peuple (car si elles ne le sont pas, elles prendront des décisions qui seront abrogées en RIC), or une personne unique désignée comme le chef du gouvernement peut difficilement être représentative de la richesse et de la diversité politique dans la population, ou ne serait-ce qu’une partie de celle-ci. Il est par conséquent inenvisageable de céder à cette unique personne l’entièreté du pouvoir exécutif sans qu’elle ne puisse être contrôlée ou influencée par le parlement, qui serait pourtant beaucoup plus représentatif qu’elle.
De plus, ce qui a été dit sur les RIC d’abrogation marche aussi pour les RIC de révocation, visant à forcer un élu à démissionner et refaire une élection : si le Président élu mais qu’il n’est pas soutenu par la majorité de la population, il sera immédiatement forcé à démissionner à cause d’un référendum révocatoire que se seront empresser de voter tous ceux qui ne le soutenaient pas.
Il faut donc cherche un mode de gouvernement qui soit plus représentatif du peuple et fidèle à ce dernier que le régime présidentiel.
2) Le Régime parlementaire Dans le régime parlementaire, le Chef d’État n’a aucun ou presque pouvoir politique, la responsabilité de l’exécutif appartient à une personne distincte, dont le titre officiel peut être celui de Premier ministre, comme au Royaume-Unis, ou Chancelier, en Allemagne. De la même manière, donc, que l’on parlait d’exécutif « monocéphale » quand une même personne endossait les deux casquettes, on parle ici d’exécutif « bicéphale », car le Chef d’État exerce la fonction symbolique, et le et chef du gouvernement le pouvoir politique.
Dans ce système, le chef d’État ne peut être élu par le peuple au suffrage direct, car ce mode de désignation est le plus « légitimant », et l’élection nationale au suffrage direct impliquerait un programme électoral pour justifier l’élection, et donc cela impliquerait que le chef d’État élu aurait un pouvoir politique. Classiquement, le chef d’État d’un régime parlementaire est soit un président élu par les parlementaires dans le cas d’une république parlementaire telle l’Allemagne, mais il peut aussi être un monarque désigné par l’hérédité dans le cas des monarchies parlementaires comme le Royaume-Unis.
De plus, il ne faut pas oublier que, bien que dépourvu de pouvoir concret, la fonction de Chef d’État est la plus haute fonction de l’État symboliquement parlant, son statut est le statut le plus prestigieux. Or, si on élisait le chef du gouvernement au suffrage universel direct, alors cela lui octroierait une légitimité supérieure à celle du chef de l’État, et ferait de l’ombre au pouvoir supposé fédérateur de ce dernier. Le chef du gouvernement ne peut donc pas non plus être élu directement.
Traditionnellement, c’est le Chef d’État qui nomme le chef de gouvernement. Mais, là où le régime devient « parlementaire », c’est que comme le parlement peut voter une « motion de censure » pour forcer le gouvernement à démissionner. Le pouvoir du parlement via la motion de censure se justifie d’un point de vue démocratique par le fait que le parlement, lui, est élu. Il est donc démocratiquement légitime qu’il puisse démettre de ses fonctions et stopper l’action d’une personnes non élue.
Ainsi, même si le Chef d’État nomme le gouvernement et son chef, c’est bien le parlement qui induit cette nomination, car il peut le forcer à démissionner, quand il n’élit pas directement le chef du gouvernement comme c’est le cas en Allemagne, où le parlement soumet au Président un candidat élu par les parlementaires au poste de Chancelier fédéral, que le Président n’a pas le pouvoir de refuser. Le Gouvernement est donc subordonné au parlement.
Par conséquent, en cas de crise politique opposant le gouvernement au parlement, c’est le parlement qui a le dernier mot, c’est en cela que le régime est « parlementaire ».
Enfin, il y a bien un pouvoir que possède le Chef d’État, celui de dissoudre le parlement et provoquer une nouvelle élection de ce dernier. Néanmoins, n’étant pas élu par le peuple, le Chef d’État n’a qu’une très faible légitimité à user de ce pouvoir, et les seules situations où il est vraiment autorisé à le faire est le cas où il y aurait une instabilité politique, aboutissant au fait qu’il ne puisse y avoir de gouvernement stable car le parlement voterait motion de censure sur motion de censure.
Prenons un exemple concret : si dans le parlement un tier des parlementaires sont communistes, un autre tier libéral, et un autre tier nationaliste protectionniste, alors si le Chef d’État nomme un gouvernement libéral, les deux tiers du parlement (communistes et nationalistes) voteront la motion de censure, si un gouvernement communiste est nommé pour le remplacer, les deux tiers du parlement (libéraux et nationalistes) voteront à nouveau la motion de censure, et ainsi de suite…
Dans cette unique situation d’instabilité politique, le Chef d’État peut agir en provoquant une nouvelle élection parlementaire et espérer rétablir une majorité stable d’un seul camp politique au sein du gouvernement.
Dans ce régime, la séparation des pouvoirs est dite « souple », car bien que les institutions qui exercent les différents pouvoirs ne soient pas les mêmes, elles ont la possibilité de s’influencer l’une l’autre.
Toujours dans cette optique de souplesse dans la séparation des pouvoirs, dans les régimes parlementaires, les membres du gouvernement sont également dotés de « l’initiative législative ». C’est-à-dire qu’ils peuvent proposer des lois au parlement, que celui-ci est libre de voter ou pas, sans que le gouvernement n’interviennent ensuite, mais le gouvernement peut proposer des lois, ce qui est impossible en régime présidentiel. En régime présidentiel, l’initiative législative est exclusive aux parlementaires, les ministres s’occupent de l’exécutifs, les parlementaires du législatif, c’est clair, net et précis, et personne n’empiète sur les plates-bandes de l’autre, point.
L’avantage de ce système est qu’il n’y a plus de problème de blocage des institutions avec un parlement et un gouvernement qui camperaient sur leurs positions sans qu’aucun ne puisse démettre l’autre. Ce qui aboutirait aux « shutdowns » à l’américaine. De plus, l’initiative législative accordée aux membres du gouvernement permet une communication et une coopération des différents pouvoirs. Le régime parlementaire est donc basé sur la coopération entre les institutions.
Mais il y a deux problèmes à ce système : d’abord, le gouvernement n’est stable que s’il est soutenu par une majorité absolue de parlementaire, or, le parlement proposé dans ce texte est fait pour être fidèle au peuple, donc pour qu’il y ait une majorité absolue de parlementaires de la même orientation politique, il faut que la majorité absolue du peuple soit de la même orientation politique, ce qui est utopique. On peut néanmoins avancer un contre-argument avec l’exemple de l’Allemagne : là-bas, la motion de censure n’est effective que si le parlement réussi à élire son remplaçant à la majorité absolue. Autrement dit, il ne suffit plus au parlement de réunir une majorité qui se contente de rejeter le Chancelier actuel, il lui faut réunir une majorité qui soutienne un même nouveau Chancelier, ce qui rend le gouvernement plus stable.
Mais un autre argument contre ce régime dans le système que ce texte propose est qu’il y a déjà une source potentielle d’instabilité politique : le Référendum d’initiative citoyenne.
Si le peuple est déjà capable de rejeter nombre des réformes que tenterait le gouvernement de mettre en place, alors rajouter à cette source potentielle d’instabilité la possibilité que le gouvernement puisse lui-même changer continuellement à coup de motions de censure aboutirait à un État beaucoup trop instable.
3) Le Cas de la France : le régime semi-présidentiel Il ne sera question ici que d’aborder rapidement la spécificité de la cinquième république française. Car celle-ci est vraiment très particulière :
Si on voulait la comparer aux deux régimes présentés ci-dessus, on pourrait la rapprocher d’une république parlementaire : le Président, en tant que Chef de l’État nomme le gouvernement et son chef, l’exécutif est donc bien bicéphale, ledit gouvernement peut être forcé à démissionner par une motion de censure votée par l’Assemblée nationale, la chambre basse du parlement. Et le Président peut dissoudre cette même Assemblée nationale et provoquer de nouvelles élections. Jusque-là, une république parlementaire classique…
Sauf que… Le Président est élu au suffrage universel direct ! Et qui dit élection au suffrage direct, dit programme politique pour mener une campagne électorale devant les français et justifier son élection, donc dit que le Président est élu sur un projet politique qu’il est légitime à mettre en place. Bien qu’il ne respecte que rarement ses promesses (mandat représentatif, quand tu nous tiens…), le suffrage direct lui donne une légitimité à agir en politique car il fait de lui un représentant du peuple. Le plus haut représentant, même, puisqu’il est le seul à être élu par tous le pays, les députés n’étant élus que dans des petites circonscriptions du pays.
Donc, bien que dans la constitution, ce soit le Premier ministre, en tant que chef du gouvernement, qui exerce officiellement le pouvoir exécutif, c’est le Président qui supervise véritablement le pouvoir. Car non seulement il nomme le Premier ministre, mais en plus, comme il est légitime à faire appliquer sa politique, étant élu par le pays, il est aussi légitime à protéger le gouvernement lorsque l’Assemblée nationale s’oppose à lui, et donc de dissoudre cette dernière sitôt qu’elle s’apprête à voter une motion de censure. On voit donc que ce changement qui semblait anodin, élire le Président au suffrage direct, change enfaite complètement le rapport de force entre législatif et exécutif : dans le régime parlementaire, le gouvernement est subordonné au parlement, dans le régime semi-présidentiel français, c’est le contraire. L’exécutif y est très puissant, et entièrement dirigé par le Président.
Mais ce n’est pas tout : d’autres procédures spécifiques au régime français et non retrouvées ailleurs, en tout cas toutes ensemble, augmentent encore la puissance politique de l’exécutif et du Président, pour le gouvernement dans son ensemble :
- Le gouvernement peut choisir une partie de l’ordre du jour du parlement. C’est-à-dire qu’il peut décider de quel sujet vont débattre les parlementaires lors de certaines séances.
- Le gouvernement peut demander au parlement d’écrire des lois directement à sa place, bien que cette procédure soit encadrée par un accord du parlement au début dans un domaine spécifique (le parlement donne son accord pour une loi sur un sujet donné, pas sur tous), puis la discussion de la loi écrite par les parlementaires et son vote en procédure ordinaire à la fin. Cette procédure s’appelle la législation par ordonnance, et son intérêt est que les lois écrites par ordonnances s’appliquent tout de suite après leur écriture par le gouvernement, contrairement aux lois ordinaires qui nécessitent un délai pour entrer en vigueur. Ainsi, si le gouvernement veut une loi rapidement, il peut demander au parlement l’autorisation d’écrire une loi qui entrera en application sitôt écrite et promulguée. Ensuite le parlement pourra plus tard rediscuter cette loi, la modifier voire l’abroger, mais cela laisse un temps durant lequel la version écrite par le gouvernement s’applique.
- Plus insidieux encore que les deux premiers points : le gouvernement peut écrire des « règlements autonomes ». Ce sont des textes qui s’appliquent comme des lois, ont la même valeur juridique qu’une loi, mais ne passent à aucun moment par un vote parlementaire, pas plus que par une procédure de législation par ordonnance. Ces textes sont intégralement écrits par le gouvernement sans que celui-ci ne doive rendre de compte à une autre institution.
Cela s’explique par le fait qu’en réalité, quand la constitution française décrit le rôle du gouvernement, elle ne dit pas qu’il exerce le pouvoir exécutif, elle dit : « Le Gouvernement conduit et dirige la politique de la nation » (Article 20, alinéa 1). Tandis qu’elle dit explicitement que le parlement possède le pouvoir législatif par l’article 24, alinéa 1 : « Le Parlement vote la loi ».
Cette description très vague et évasive du rôle du gouvernement fait que, en réalité, ce dernier n’a pas le pouvoir exécutif, il a tous les pouvoirs… ! Il est donc compétent pour émettre seul des textes de loi. Et dans l’Histoire de la V° République, le gouvernement a déjà eu recours à de tels textes, notamment au début, sous De Gaulle.
- Et même pour les lois « légitimes » faites par le parlement, le gouvernement peut initier une procédure de « vote bloqué », ce qui signifie que le parlement doit se prononcer pour ou contre tout ou partie d’une loi, alors que classiquement il vote les lois article par article. Cette procédure permet au gouvernement de faire passer des articles refusés seuls avec d’autres articles, plus populaires, pour être acceptés. C’est grossièrement une procédure de « tout ou rien ».
- Enfin et non des moindres : dans la même idée du « tout ou rien », si c’est la loi dans son ensemble qui déplait au parlement, le gouvernement peut alors « engager sa responsabilité » devant l’Assemblée nationale. Si celle-ci vote une motion de censure dans les 24 heures suivant cette résolution, le gouvernement est forcé à démissionner. Sinon, le gouvernement reste en place, mais la loi initialement rejetée par le parlement est alors considérée comme votée et approuvée. Cette procédure est décrite au troisième alinéa de l’article 49 de la constitution, c’est le fameux « 49.3 ».
C’est une sorte de « c’est ça ou j’me tire ! » que le gouvernement lance au parlement. Ça peut sembler légitime de prime abord, et c’est effectivement envisageable dans une république parlementaire classique, mais dans le régime français, n’oublions pas que le Président nomme le gouvernement et exerce le véritable pouvoir exécutif, et qu’il peut menacer l’Assemblée nationale de la dissoudre si celle-ci ose voter la motion de censure et persister dans son opposition au gouvernement, soutenu par le Président. Et comme il est élu par le peuple, il est légitime à défendre sa politique et donc à dissoudre l’Assemblée nationale, ce qui constitue un formidable moyen de pression sur cette dernière pour qu’elle ne vote pas la motion et renonce à rejeter la loi…
Notez bien que toutes ces mesures ne sont pas forcément spécifiques du régime français, certaines se retrouvent aussi ailleurs, mais rarement combinées les unes avec les autres, toutes ensemble.
Donc on voit que le pouvoir exécutif est très fort. Et comme il est nommé par le Président, celui-ci élu par le peuple donc en droit de défendre sa politique devant le parlement, le Président est vraiment aux commandes de tout le pays. De plus, d’autres mécanismes viennent encore renforcer la mainmise du Président sur le gouvernement (gouvernement déjà plus fort que le parlement) :
- Celui-ci assiste aux réunions du gouvernement. Non seulement cela, mais il est tout à fait possible qu’il les préside et arbitre les discussions entre les ministres à la place du Premier ministre, ce dernier étant relégué à un rôle de « Vice-président ». Et, en pratique, c’est ce qui se fait.
- Et les règlement autonomes, ordonnances et autres décrets du gouvernement, pour entrer en vigueur, doivent être signés de la main du Président. Or, si la constitution ne dit pas explicitement qu’il a le droit de refuser de les signer, depuis la polémique entre Mitterrand et Chirac, où le Président de l’époque, François Mitterrand, avait refusé de signer des ordonnances du gouvernement du Premier ministre Jacques Chirac, le conseil constitutionnel a donné raison au Président. Le Président peut donc s’opposer aux actions du gouvernement et les bloquer. En plus de participer, et même de présider, les réunions dudit gouvernement.
On voit donc bien ici que le Président est presque comme une sorte de monarque absolu. D’ailleurs, cette expression existe : il est courant de dire que le Président est un « monarque républicain », un roi absolu élu par le peuple…
Si ce régime est appelé « semi-présidentiel », et pas plutôt « hyperprésidentiel », c’est bien parce que, dans le droit théorique, il est écrit que c’est le Premier ministre qui dirige le gouvernement, et qu’il est lui-même inféodé au parlement par la menace de la motion de censure ; même si en pratique, c’est le Président qui possède le gros des pouvoirs.
On a donc un régime qui ressemble au régime parlementaire, mais pour lequel quelques modifications basculent complètement les rapports de force, faisant du Président la personne avec le plus de pouvoir politique du régime…
Ce système est très intéressant à étudier… Parce qu’il montre absolument tout ce qu’il ne faut pas faire pour un État qui se voudrait démocratique !
Le Président, en tant que personne seule, ne peut être représentatif de la population, et son immense pouvoir face au parlement pourtant plus représentatif que lui conduit irrémédiablement vers un régime autocratique autoritaire. C’est le même argument qui nous fait rejeter le régime présidentiel, si ce n’est que c’est encore pire ici. Puisqu’ici le Président possède un pouvoir de contrôle sur le parlement, là où dans le régime présidentiel à l’américaine, au moins, le président n’a pas de moyen de pression sur le législatif et donc le défaut de représentativité du Président ne concerne que l’exécutif.
4) L’Exemple suisse comme alternative : le régime directorial Le régime suisse est très particulier car son chef du gouvernement est… Plusieurs personnes en même temps !
Enfaite, il s’agit d’un conseil de sept personnes, nommé le « Conseil fédéral ». Ces sept conseillés fédéraux exercent ensemble la fonction de chef de gouvernement, selon un principe de collégialité, comme des « co-Premiers ministres ». Et c’est le Conseil dans son ensemble, qui joue le rôle de Premier ministre. Le principe de collégialité de cette institution oblige les membres du conseil à se mettre d’accord, souvent par des compromis, sur la politique à suivre dans les différents domaines de l’exécutif.
Ces sept conseillers fédéraux sont élus par le parlement, appelés en Suisse l’Assemblée fédérale, pour toute la durée de la législature. Il se renouvelle quand l’Assemblée se renouvelle.
De plus, en Suisse, le mode de scrutin de l’une des chambres de l’Assemblée fédérale est le scrutin proportionnel, ce qui fait que l’Assemblée est assez multicolore, d’un point de vue politique. Pour faire élire un des leurs au conseil fédéral, les différents partis politiques sont donc obligés de se mettre d’accord ensemble pour établir un conseil fédéral multi-partisan.
Et ça marche ! Actuellement, sur les sept conseillés fédéraux, quatre partis sont représentés. Et des partis très différents : un parti conservateur libéral plutôt centriste et modéré, un autre libéral libertaire, plutôt progressiste, un troisième socialiste et progressiste et un quatrième conservateur, libéral et franchement nationaliste. Mais à coups de compromis, le Conseil fédéral réussis à être stable.
Historiquement, l’entente entre les partis, appelé là-bas « formule magique », pour faire élire un Conseil fédéral multicolore, n’existait pas. Et comme l’élection des conseillers fédéraux se passe le même jour, avec le même scrutin, les sept conseillés étaient, au début, tous du même bord politique. Donc la politique menée était celle d’un seul et unique parti politique.
Sauf que les Suisses avaient le référendum d’initiative citoyenne en matière révocatoire, nommé dans ce pays « référendum facultatif », ce qui permet au peuple d’abroger une loi qui n’aurait pas son aval.
La conséquence était que quand le pouvoir n’était donné qu’à un seul parti politique, la politique appliquée ne serait donc celle que d’un camp minoritaire, et une bonne part des mesures qui la constituaient étaient rejetées en référendum. Car un seul parti politique n’est pas assez représentatif de la population. Cela a donc contraint les acteurs politiques suisses à coopérer avec le maximum de forces politiques pour minimiser le risque d’échec de leurs projets devant le peuple souverain.
Les régimes dans lesquels la tête du gouvernement n’est pas une personne unique mais un conseil sont appelé des régimes « directoriaux », en référence à la première république française, qui a été un de ces régimes, et dont le conseil s’appelait le Directoire.
Le modèle du directoire me semble donc être le mode de gouvernance idéal pour le régime proposé dans ce texte. Si sept est peut-être un peu trop, cinq me semble un bon chiffre pour le nombre de directeurs. Trois et trop peu, et neuf ferait beaucoup trop. Et il est préférable que le nombre de directeurs soit impair, car souvent le compromis entre les directeurs est obtenu en votant, et un nombre impair de votants réduit les chances de partage des voix à égalité.
Mais ce système de partage du pouvoir exécutif affaiblit le gouvernement, car tout décision de celui-ci doit d’abord être discutée entre les directeurs. C’est donc pour compenser l’affaiblissement du gouvernement, que le parlement doit lui-aussi être divisé. Voilà pourquoi je préconise le bicamérisme. En penchant même plutôt pour un bicamérisme égalitaire, c’est-à-dire que les deux chambres auront des prérogatives similaires, sans que l’une n’ait le dessus sur l’autre. En cas de désaccord entre elles dans la procédure législative, elles pourront effectuer un vote conjoint se réunissant en une seule assemblée pour trancher, comme le font les deux chambres du parlement suisse lorsqu’elles sont en désaccord.
En ce qui concerne les relations entre parlement et gouvernement, la Suisse adopte un modèle avec quelques éléments de séparation strictes des pouvoirs, à l’américaine, comme le fait qu’il soit impossible pour le parlement de forcer le conseil fédéral à démissionner, bien qu’il l’élise à la place — donc le gouvernement est quand même induit par le parlement — et des éléments de séparation souple, comme la possibilité laissée au conseil fédéral de proposer des lois.
D’autres procédures peuvent peut-être être envisagées, comme la procédure de législation par ordonnance en cas de nécessité d’avoir une loi rapidement, ou l’engagement de la responsabilité du Directoire devant le parlement sur un projet de loi.
Car ce qui pose problème avec cette dernière procédure en France, c’est la menace que représente le Président, soutenant le gouvernement car le dirigeant, et capable de dissoudre la parlement et « légitime » à le faire car élu. Mais comme dans le système proposé ici, le Directoire est élu par le parlement, et qu’il n’y a pas de Président élu par le suffrage direct pour faire pression sur le parlement, cette procédure d’engagement de responsabilité ne peut pas dériver en mesure autoritaire.
En conclusion, le régime directorial semble être la bonne alternative aux autres régimes pour établir un gouvernement représentatif de la population et une gouvernance stable du pays.