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Propositions personnelles pour un État démocratique

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Orphel:
Partie II. Le Parlement
(C'est la partie la plus monstrueuse en terme de taille, car j'y aborde les modes de scrutin)
   Le Parlement, en démocratie, est l’institution chargée d’exercer le pouvoir législatif, celui d’écrire les lois. Il se compose généralement de deux chambres distinctes, traditionnellement appelée « Chambre haute » et « Chambre basse », c’est le système du « bicamérisme ». L’intérêt d’avoir deux chambres est que le monopole du pouvoir législatif n’appartienne pas à une seule assemblée, mais que les deux chambres « se surveillent l’une l’autre ». Ce rôle de contre-pouvoir que joue chaque chambre vis-à-vis de l’autre à été théorisé par Montesquieu, qui préconisa le principe de « séparation des pouvoirs », lequel implique que les trois pouvoirs politiques — législatif, exécutif et judiciaires — soient exercés par des institution différentes, afin d’éviter la tyrannie d’une seule institution. Mais, de plus, les institutions doivent pouvoir se contrôler l’une l’autre, il ne faut pas qu’une institution puisse exercer une trop forte pression sur les autres, de telle sorte que les autres en question y soient soumises. Or, traditionnellement, le moyen de contrôle du parlement sur le gouvernement est le possible vote d’une « motion de censure », obligeant le gouvernement à démissionner. Mais pour éviter, du coup, que le parlement ne s’arroge le pouvoir exécutif en exerçant abusivement son autorité sur le gouvernement, via la motion de censure — ce type de régime où le gouvernement est complètement soumis et au parlement se nomme un « régime d’assemblée » — Pour éviter ce régime d’assemblée, donc, il peut être une bonne idée de scinder le parlement en deux chambres. Ainsi, le gouvernement pourra s’appuyer tantôt sur une chambre, tantôt sur l’autre.
De plus, le bicamérisme se justifie souvent par le fait que la seconde chambre — classiquement nommé « chambre haute », tandis que la première porte l’appellation de « chambre basse » — représente les collectivités territoriales, alors que la première chambre représente l’ensemble des citoyens réunis en un même peuple. La représentation des territoires permet, en théorie, d’éviter qu’un territoire en particulier ne soit systématique désavantagé par les décisions de l’État, en étant en quelque sorte « sacrifié » pour le bien de la nation, parce que le parlement prendrait des décisions qui seraient bonnes pour le pays en général, mais mauvaises pour CE territoire là en particulier.
En pratique, pour résumer le fonctionnement du bicamérisme vraiment très grossièrement : quand une loi est votée par une chambre, elle passe dans l’autre chambre où elle subit des modifications, après quoi elle repasse dans la première, et ainsi de suite, idéalement jusqu’à ce qu’une chambre ne change rien à la version qui vient de lui être transmise. Mais la plupart du temps, il y a un nombre limité d’aller-retours au bout desquelles la loi est considérée comme votée. D'ailleurs, pour le vocabulaire, ce processus d’aller-retours s’appelle la « navette ».
   Ce bicamérisme me semble être une bonne idée et à conserver, il permet d’éviter qu’une seule institution détienne le pouvoir législatif sans pouvoir être contrariée, et représenter les minorités locales, et protéger leurs intérêts par rapport à celui du pays me semble aussi une bonne idée sur le papier.
Mais il existe deux types de bicamérisme : inégalitaire et égalitaire, selon si les ceux chambres sont à égalité ou si en cas d’affrontement, l’une a le dernier mot sur l’autre. Par exemple, en France, le bicamérisme est inégalitaire : lorsque l’Assemblée nationale est en conflit avec le Sénat, c’est la première qui impose sa volonté avec l’accord du Premier ministre. Ainsi, pour voter une loi, soit l’Assemblée nationale et le Sénat se mettent d’accord, soit l’Assemblée nationale a le soutien du Premier ministre. L’Assemblée national apparaît donc indispensable pour voter une loi, mais pas suffisante. Nous verrons plus loin quel système est préférable, car il faudra d’abords parler du gouvernement.

   Maintenant qu’il est convenu d’un parlement bicaméral, comment désigner ses membres ? Pour rappel : nous voulons l’État le plus démocratique possible, nous sommes donc en quête d’un parlement qui sont le fidèle, dans sa constitution idéologique et sa coloration politique, à la constitution idéologique et la coloration politique du peuple. Cette fidélité, est non seulement souhaitable, mais de surcroît nécessaire du fait de l’existence du référendum d’initiative citoyenne. En effet, nous verrons que le RIC conditionne toutes les autres institutions qui doivent composer avec lui, et s’organiser autour de lui.
Dans le cas du parlement, si celui-ci n’est pas fidèle, dans sa coloration politique, à la coloration politique du peuple, alors il votera des lois qui ne plairont pas au peuple, et celui-ci s’empressera de les abroger par RIC. Or, une procédure législative est coûteuse, aussi bien en temps, qu’en argent et en effort humain, mais c’est aussi le cas des RIC ! ils demandent des semaines, si pas des mois, de débat publique, d’effort humain, d’énergie humaine, et d’argent. Donc faire une loi, pour ensuite l’abroger par RIC, constitue un énorme gaspillage de temps, d’argent et d’effort humain. Il est donc indispensable que, dès le début, le parlement soit fidèle à la coloration politique du peuple, afin que les lois votée ne soient pas rejetées par celui-ci.
Il faut donc trouver un mode désignation fidèle, et nous passerons en revue différents modes de désignation :
1)   Le Tirage au sort
Cette idée peut sembler étonnante, car plus pratiquée depuis l’antiquité. Pourtant, elle était à la base de la démocratie athénienne, en faisant que chaque citoyen puisse entrer au parlement, et en comptant sur le principe de représentativité du hasard pour avoir un parlement vraiment similaire et représentatif de la population, le tirage au sort possède plusieurs avantages :
- n°1 : Les candidats voulant être aux responsabilités politiques ne sont pas obligés de mentir, de faire de fausses promesses, ou de faire du clientélisme électoral, car cela ne va pas les aider à se faire désigner. Contrairement à l’élection, car, lors d’une élection, où le but est d’obtenir des voix, les candidats ont souvent, pour ne pas dire toujours, intérêt à faire de fausses promesses, à diffuser de fausses informations, en bref : à mentir. Le tirage au sort peut ainsi éviter le populisme.
- n° 2 : Le tirage au sort, et en mettant les citoyens dans un lieu où chacun s’interroge sur le bien commun, les forçant à prendre part activement aux décisions politiques, les oblige ainsi à s’interroger sur ledit bien commun. Et leur fait ainsi accéder à une sorte de maturité politique. Il responsabilise les citoyens en les mettant directement, eux-mêmes face aux problématiques du gouvernement. C’est ce que Tocqueville remarquait dans son ouvrage De La Démocratie en Amérique, il écrit, à propos du tirage au sort pour désigner les membres du jury dans la procédure judiciaire américaine :
« Le jury apprend à chaque homme à ne pas reculer devant la responsabilité de ses propres actes ; disposition virile [on pourrait remplacer le terme « virile » par « mature »], sans laquelle il n'y a pas de vertu politique. Il revêt chaque citoyen d'une sorte de magistrature ; il fait sentir à tous qu'ils ont des devoirs à remplir envers la société, et qu'ils entrent dans son gouvernement. En forçant les hommes à s'occuper d'autre chose que de leurs propres affaires, il combat l'égoïsme individuel, qui est comme la rouille des sociétés. » (Tocqueville, De La Démocratie en Amérique, Livre 1, Partie 2, Chapitre VIII)
On voit donc ici que le tirage au sort apprend aux citoyens à se responsabiliser.
- n° 3 : Au contraire d’une élection, tout le monde peut être désigner par tirage au sort. En effet, lors d’une élection, ne sont élus que des gens qui font la démarche de se présenter. Or ceux qui se présentent, peuvent vouloir être élus par conviction, par volonté d’agir au service du bien commun, mais aussi par attrait du pouvoir, le l’argent ou des honneurs de la fonction d’élu. Le tirage au sort permet d’éviter que le pouvoir ne soit attribué qu’à des gens le désirant.
- n° 4 : Le tirage au sort permet de garder une humilité des représentants. Car, lors d’une élection, l’élus peut devenir imbus de sa personne car il estime qu’il a été désigné par le peuple — ce qui est vrai — et utilisera cet argument pour assoir son autorité face au peuple. Ce qui n’est pas possible avec le tirage au sort, car la personne désignée aurait tout aussi bien pu être quelqu’un d’autre.
- n° 5 : Dans l’élection, les candidats sortants se représentent, et profitent du fait qu’il soit connu pour se faire réélire, ou, s’ils ne sont pas réélus, se feront élire ailleurs (un député peut devenir maire s’il n’a pas été reconduit à son mandat de député, etc…). Ce phénomène amène à une professionnalisation de la vie politique, avec des gens qui vont faire de la politique leur métier. Or, la professionnalisation de la vie politique a deux effets néfastes : d’une part, elle donne l’impression aux élus d’être des dirigeants appartenant à une classe sociale supérieure, gonflant ainsi leur orgueil ; mais surtout, elle va les déconnecter de la réalité quotidienne du citoyen lambda. Ce qui est un grave problème quand on veut des institutions qui soit fidèle dans sa représentativité du peuple. Le tirage au sort permet de faire retourner à la vie civile les gens désignés quand arrive la fin de leur mandat.
- n° 6 : Qui dit élection dit campagne électorale, et généralement, le candidat gagnant fait partie de ceux qui on eut la meilleure et la plus forte campagne. Et même hors période électorale, les personnalité politiques ont tout autant intérêt à avoir une forte visibilité pour préparer les prochaines élections, aussi lointaines soient-elles. Il y a donc nécessité pour les candidats de procéder à un « matraquage médiatique » le plus intense possible afin d’accroître autant que possible leur visibilité. Or pour ce faire, il faut trois ingrédients, et le premier d’entre eux consiste à ne pas hésiter à faire des propositions démagogiques, extrêmes, voire parfaitement irréalistes et que l’on sait irréaliste et intenable  (et qu’on ne compte absolument pas tenir, si on est élu), pour attirer l’attention sur soi, pour « faire le buzz ». L’élection récompense le matraquage médiatique, et un bon matraquage médiatique nécessite de nier la réalité, d’avoir des propositions irréalisables et que l’on ne compte pas réaliser, voire même, d’avoir des propositions avec lesquelles nous sommes nous-mêmes en désaccord ! Mais nous les formulons parce qu’elles nous permettent de nous faire élire. L’élection favorise donc le mensonge et la démagogie.
- n°7 : les deux autres ingrédients pour un bon matraquage médiatique sont : de l’argent ; et des médias en accord avec vous, qui pourront donc diffuser vos idées et faire plus ou moins discrètement et directement votre promotion. Mais pire encore : cela s’applique aussi aux candidats sortants, qui sont déjà élus et cherchent à se faire réélire, ou même à faire réélire leur parti politique, pas forcément leur propre personne. Donc les élus, s’ils cherchent à se faire réélire ou faire reconduire leur camp politique au pouvoir, ont intérêt, nous pas intérêt à conduire des politiques populaires et utiles au bien commun pour inciter les gens à revoter pour eux, mais une politique utile à une élite financière constituée de potentiels soutiens financiers pour leurs campagnes, ainsi qu’une politique en accord avec l’idéologie des détenteurs des principaux médias, peu importe que cette idéologie soit partagée par la population ou non. Et grâce au matraquage médiatique en leur faveur que ces techniques leur permettront d’obtenir, ils sont certains que les gens continueront à voter pour eux, car ils conservent leur notoriété, leur visibilité. Le tirage au sort empêche ce travers, car il ne récompense pas le matraquage médiatique.

   Néanmoins, malgré tous ces avantages, le tirage au sort souffre quand même de quelques défauts, dont le fait que le hasard ne fasse pas si bien les choses que ça. En effet, on pense souvent que, du fait de la randomisation du hasard, le parlement tiré au sort sera forcément fidèle à la population, mais ce n’est pas garantie d’être le cas.
Un exemple : si, sur une question donnée, par exemple, la légalisation de la PMA pour les femmes seules ou en couple homosexuel, mettons que 52 % de la population soit pour et 48 % contre. Ces chiffres sont PUREMENT inventés pour les besoins de l’exemple, mais, en pratique, ils sont très réalistes. En effet, sur la quasi-totalité des sujets, la population est souvent divisée à environ 50/50, généralement, on considère qu’il y a consensus dans la population si le ratio atteint 55/45 — comme c’était le cas en 2005 lors du référendum sur la constitution européenne, où les français avaient répondu « Non » à 55 %, on parlait alors « d’écrasante majorité » — et elle ne va quasiment jamais au-delà de 60/40, ce qui serait vraiment un cas extrême. Mais reprenons : avec un ratio de 52/48, si l’on choisit une assemblée de 400 membres, ce qui est dans la moyenne des assemblées en occident, La fluctuation due au hasard fait qu’il n’y a qu’environ 79 % de chances que la majorité du parlement soit en accord avec la majorité du peuple. Dans notre exemple, le peuple est majoritairement en faveur de la mesure proposée, et l’adopterait donc en RIC, mais il y a 21 % de chance pour qu’avec le tirage au sort, une assemblée de taille moyenne de 400 membres soit contre, et donc la refuse.
Cela peut paraître une faible chance, 21 %, mais il ne faut pas oublier qu’il y aura de nombreuses autres questions après celle-là, et qu’à chaque fois, si le peuple est divisé à un ratio proche de 50/50, il n’y aura qu’environ 80 % de chance que le parlement soit fidèle au peuple. Or, de 80 % en 80 %...
Si l’on fait deux propositions, la probabilité que le parlement soit à deux reprises fidèle au peuple est de (8/10) x (8/10), soit 64 % seulement, et donc 36 % de chance qu’il trahisse le peuple sur l’une ou l’autre des deux propositions, ou les deux. De façon générale, si vous considérez N propositions, la probabilité que le parlement soit fidèle au peuple pour toutes ces propositions est de 0,8N si la population est divisée à environ 50/50 pour chacune de ces propositions, ce qui diminue très vite. Cependant, il faut avouer que cette probabilité est plutôt 0,99N si ces propositions partagent est la population avec un ratio de 55/45. À ce moment-là l’assemblée a plus de chances d’être fidèle car cette probabilité descendra descendra toujours, mais beaucoup, beaucoup moins vite. Malheureusement, ce genre de cas est rare.
   Il est question de 400 membres car, plus le parlement est nombreux, plus la fluctuation due au hasard autours du ratio réel de la population, est petite. Mais la fluctuation ne diminue malheureusement pas assez vite. Pour espérer un parlement le plus possible en accord avec le peuple, il faudrait au moins un, voire plusieurs milliers de parlementaires. Ce qui est très difficile à légitimer à une époque où il est populaire de proposer une diminution du nombre de parlementaires. Lors de l’élection, les responsables politiques ne sont pas choisis par le sort, mais triés par la population, idéalement en fonction de leurs propositions. Ce qui permet, sur le papier, d’avoir une assemblée de gens triés pour être spécifiquement en accord avec, et représentatifs de la population. Je dis « sur le papier » car le mode de scrutin est important : il y en a qui sont moins représentatifs que d’autres, donc toutes les élections ne se valent pas et nous le verrons plus tard, mais on peut penser que si l’on choisit un bon mode de scrutin, représentatif de la population, l’assemblée élu a plus de chances d’être régulièrement en accord avec le peuple sur différents sujets qu’une assemble tirée au sort.

   De plus, le tirage au sort ne présente pas toujours les six avantages cités précédemment. En effet, Le point n°2 que Tocqueville soulignait sur le jury américain, présume que si on tire au sort un citoyen pour le faire participer à la vie politique, il deviendra plus éveillé, plus éclairé, plus sage et plus mature politiquement. Mais cette affirmation — en admettant qu’elle soit vraie — ne concerne que les tirés au sort, pas les autres citoyens qui s’exprimerons en référendum. On peut ainsi faire la supposition que l’élection, parce qu’elle donne un pouvoir à chacun, plus faible, mais plus diffusé dans la population, pourrait responsabiliser plus de gens.
À cela on répondrait que ce n’est pas ce que l’on observe en pratique dans nos pays pratiquant l’élection. Elle ne les responsabilise pas spécialement, enfaîte elle les transforme plutôt en soldats aveugles, combattant des idéologies sans jamais les remettre en question, et persistant dans leur convictions — d’ailleurs, on parle de « convictions » politiques comme si cela retournait du domaine de la Foi religieuse — parfois même lorsqu’elles vont à l’encontre de la réalité observée ! Leur faisant ainsi perdre toute rationalité.
Mais on peut expliquer ce phénomène par plusieurs facteurs qui ne sont pas obligatoires avec l’élection : notamment le scrutin, en effet, nos scrutins où l’on nous demande de désigner uniquement la personne qui nous correspond le mieux nous poussent à « choisir un camp » et à le défendre contre vents et marrées… Et aussi contre arguments et réalité ! Les modes de scrutins que nous utilisons tendent à polariser les citoyens, à s’identifier à une idéologie qu’ils considéreront comme une appartenance quasi-clanique ! D’autres modes de scrutins plus riches en termes de possibilité d’expressions peuvent éviter ce problème, mais l’on y reviendra.
Le point n° 3, quant à lui, dit que l’élection désigne systématiquement des gens avides de pouvoir et pas le tirage au sort. Mais, si la personne tirée au sort ne veut pas devenir parlementaire, parce qu’elle ne s’estime pas assez compétente pour faire les lois ou parce que faire les lois ne l’intéresse tout simplement pas. Faut-il l’obliger ? Et faire fi de sa volonté ? Il est question de mettre entre parenthèses son activité professionnelle, voire sa vie sociale et de famille, pour se rendre à la capitale du pays afin de siéger en tant que parlementaire. N’a-telle donc pas son mot à dire ? Si elle ne veut pas être tirée au sort, il serait tout à fait dans son droit de démissionner sitôt désignée. Mais du coup : seuls ceux qui voudront bien exercer le pouvoir accepteront d’être tirés au sort.
Lors des études statistiques et médicales, ce biais est connu, on l’appelle le biais de sélection, il consiste en le fait que les personnes qui acceptent de s’inscrire dans l’études ont une psychologie, un rapport à la connaissance et à la recherche, ainsi qu’une conscience de leur santé, statistiquement plus développé que celles qui refusent. Or par conséquent, les personnes suivies ou interrogées lors des études statistiques et médicales ne sont plus représentatives de la population générale. Ce type de biais est susceptible de s’appliquer lors du tirage au sort.
Et nous venons de parler des personnes qui vont refuser leur désignation parce qu’elles ne s’estiment pas compétentes, ou pas intéressée, mais elles ne sont pas la seule catégorie de personnes qui refuseront leur désignation : il y a aussi des personnes qui ne PEUVENT pas devenir membres du parlement, parce qu’elles travaillent, qu’elles tiennent un commerce de proximité, ou sont travailleurs indépendants… Ces personnes ne peuvent pas se permettre de mettre leurs activités professionnelles en suspend pour aller pendant un an, voire plusieurs années suivant la durée du mandat, jouer aux parlementaires, puis reprendre leurs activités là où elles l’avaient laissée. Car le marché du travail aura changé, ou car elles auront perdu leur clientèle (et Dieu sait que c’est très dur, pour ne pas dire impossible, pour un commerçant, de retrouver sa clientèle perdue).
Ces gens ne peuvent donc pas se représenter aux-même, non pas parce qu’ils en sont incapables, mais parce qu’ils n’ont pas l’opportunité, la chance, d’avoir un travail conciliant, leur permettant de cumuler avec une fonction de responsable politique, encore plus à l’autre bout du pays. Il faut donc de trouver un mode de désignation qui permettra à ces gens de pouvoir faire porter leur voix. L’élection peut être proposée car ils désigneront des gens partageant leurs idées en tant que « représentants » pour porter leur voix.
   En outre l’avantage n° 5 qui consiste à empêcher la professionnalisation de la vie politique peut aussi être mis en place dans un système l’électoral : si l’on interdit le cumul des mandats dans le temps à deux ou trois mandats. Une fois les deux/trois mandats fait, les élus ne pourront plus se représenter, obligeant ainsi le paysage politique à se renouveler régulièrement. Et les politiciens à retourner à la vie civile.
   Enfin, les arguments n° 6 et 7 expliquent que l’élection récompense le matraquage médiatique, via la démagogie, et via des soutiens minoritaires mais détenant le pouvoir médiatique ou financer nécessaire audit matraquage et dont il faut savoir capter les faveurs lors de son mandat si on espère être réélu. Contrairement au tirage au sort qui ne possède pas cette propriété malheureuse. Mais, si le tirage au sort en est effectivement prémuni, il n’est pas certain que cette conséquence soit obligatoire dans une élection. Car en réalité toutes les élections ne se valent pas : les conséquences d’une élection quasiment toutes liées à son mode de scrutin, or il y a beaucoup de modes de scrutin très différents. Et nous verrons quelques scrutins, dans la suite de ces pages, qui sont moins sensibles au matraquage médiatique, et donc à la nécessité pour les candidats d’avoir recours à ces deux méthodes : mensonges et démagogie lors de la campagne électorale, et politique en faveur des lobbys financiers et médiatiques lors du mandat.

   Le tirage au sort présente de nombreux avantages et a beaucoup d’arguments en sa faveur, mais aussi des limites. Et avant de rendre notre jugement définitif sur ce dernier, peut-être pourrions-nous nous intéresser à différents modes de scrutins électoraux.
   Car attention : toutes les élections ne se valent pas ! Il y a de nombreux modes de scrutins possibles, et tous ne sont pas égaux en termes de représentativité, de fidélité, de qualités, d’inconvénients voire de bizarreries. Il y en a de bien meilleurs que d’autres, mais nous n’allons pas tous les aborder. Nous aborderons uniquement ceux actuellement en cours dans les principaux pays développés, pour dire en quoi ils sont perfectibles, et quelles sont leurs limites, puis nous verrons quelques alternatives pour les remplacer, et nous finirons sur les meilleurs scrutins possibles actuellement imaginés.
   Précisons quand même, avant de parler du scrutin, que le suffrage, lui, ne peut être qu’universel et directe, et ce pour chacune des deux chambres du parlement, pour des raisons évidentes de fidélité de leur coloration politique. Mais du coup, s’il y a deux chambres, et qu’elles sont toutes les deux élus au suffrage universel direct, alors on peut penser que pour les différencier, pour leur donner une identité propre, il faille des modes de scrutins différents, et si possibles complémentaires. Deux scrutins tels que l’un compense les limites de l’autre et inversement. Ce qui permettra d’avoir des chambres complémentaires dans leur représentativité du peuple. Et nous verrons que ce couple de scrutins existe peut-être bel et bien.

   Nous aborderons donc les différents modes de scrutin, et nous illustrerons leurs forces et leurs faiblesses par des exemple à travers des cas réels historiques d’élections ; ainsi qu’une élection fictive, entre cinq personnes, qui nous suivrons pendant les quelques pages qui vont suivre.
J’ai donc le plaisir de vous présenter nos cinq candidats à l’élection présidentielle de la République imaginaire d’Expériencie : Alice, Bastien, Cannelle, David et Émilie.
Alice est une conservatrice protectionniste, anti-immigration et un peu bigote sur les bords. Bastien se réclame de la mouvance anticapitaliste, anti-libéral et progressiste, avec un discours écologiste. Cannelle est une socialiste plus modérée quoique franchement keynésienne. David est un réactionnaire anti-immigration ultra libéral, très lié soutenu par le grand patronat et en faveur d’une dérégulation des marchés financiers. Enfin, Émilie est elle aussi une libérale convaincue, mais progressiste et en faveur des droits des LGBT.
Nous allons étudier, sur une population donnée, les résultats des différents modes de scrutins de nos cinq comparses.

2)   Le Scrutin majoritaire uninominal à un tour
Le scrutin le plus connu et utilisé à travers le monde. Son principe est simple : on demande à l’électeur de désigner le candidat qu’il estime être le meilleur, cela compte comme une voix pour ce candidat. À l’issu de l’élection, le candidat ayant rassemblé le plus de voix est élu. Avec ce scrutin, voici les résultats de nos cinq compères :

(Normalement il y a un schéma mais je craint ne pas pouvoir le copier/coller... Mais en gros : Alice = 35 %, Bastien = 2 %, Cannelle = 8 %, David = 30 %, et Émilie = 25 %)
 
Alice gagne donc haut la main !
Cependant, ce scrutin, s’il a l’avantage d’être simple, est-il vraiment représentatif du peuple ? Dans sa capacité à rendre un résultat fidèle au peuple ? Alice correspond-t-elle bien à ce qu’attend la population ? Non, et nous allons lister les différentes raisons de cet état de fait :
- n°1 : On sait que 35 % de la population pense qu’Alice est donc « la meilleure » pour diriger le pays, c’est son score. Mais que pensent les autres à son sujet ? On ne sait rien de la quantité de gens qui déteste Alice. Il est tout à fait possible que les 65 % restant détestent cordialement Alice. Tellement, même, que s’il n’y avait eu que deux candidats dont elle, ces 65 % auraient entièrement votés pour l’autre candidat dans l’espoir de lui faire barrage !
Mais cela n’était pas le cas et ainsi les opposants d’Alice se sont retrouvés dilués entre quatre candidats…
De manière générale, le scrutin majoritaire à un tour ne tiens aucunement compte le part de l’électorat qui est en désaccord avec les candidats. Donc il n’indique pas toute la richesse de la répartition des idées politiques au sein de la population, ce qui est problématique à deux égards. D’abord d’un point de vue théorique : nous aimerions un scrutin qui soit le plus représentatif possible de l’électorat, et qui rende un résultat fidèle à ce dernier, donc qui devrait tenir compte du maximum d’information pertinente possible.
Mais d’autre part, d’un point de vue pragmatique, puisque les électeurs ne peuvent pas pénaliser les candidats qu’ils détestent, les candidats se fichent d’être détestés par tout une partie de l’électorat, pourvu qu’ils en fédèrent une assez grande part d’électeurs acquis à leurs idées. Ils ont donc tout intérêt à lancer des propositions démagogiques et irréalisables, il a tout intérêt à faire le buzz puisque ce scrutin rend vrai l’adage « la seule mauvaise publicité est celle qui ne se voit pas ». C’est l’argument n°6 lancé contre l’élection que nous avons évoqué dans la partie sur le tirage au sort. Mais l’argument n°7 est aussi pris en compte : souvent, le matraquage médiatique « fatigue » les électeurs, car plus un candidat est visible, plus sa présence finit par insupporter. Mais comme les électeurs ne peuvent pas pénaliser les candidats, ces derniers ne peuvent qu’être gagnants à s’attirer les faveurs de riches soutiens financiers et médiatiques. Nous verrons tout à l’heure qu’il y a des scrutins qui n’ont pas, ou dans une moindre mesure, ce problème.
- n° 2 : David et Émilie, on l’a dit, s’ils sont très différents dans leurs idéologies sur le plan sociétal — David étant un réactionnaire fini et Émilie une progressiste féministe en faveur des droits des LGBT — se revendiquent néanmoins tous deux de la mouvance libérale. Et, d’ailleurs, si on additionne leurs scores, on se rends compte que le camp libéral est majoritaire à 55%. On s’attendrait donc à ce que, si le peuple est majoritairement libéral, se soit un candidat libéral qui soit élu. Ce qui n’est pas le cas ici. Étrange, non ?
- n°3 : En conséquence, on voit que si, au nom du libéralisme, l’un s’était désisté en faveur de l’autre, l’autre en question aurait gagné. Pourtant, David et Émilie sont très différents sur d’autres aspects, et ils avaient le droit de se présenter indépendamment…
- n° 4 : De manière analogue, si l’on rajoute un candidat, Florent, proche idéologiquement d’Alice. Alors Florent et Alice se partagerons les 35% initiaux d’Alice, et David aurait peut-être été élu du haut de ses 30%.
-n° 5 : En conclusion des points 2, 3 et 4, on observe que l’ajout ou le retrait de candidats perdants change l’identité du gagnant ! En termes savants, le scrutin est dit « dépendant aux alternatives non pertinentes », c’est-à-dire que si on propose à l’élection des alternatives — des candidats — qui n’ont aucune chance de se faire élire eux, on peut changer l’identité du vainqueur. Mais c’est absurde ! Pourquoi la présence ou non de candidats perdants devrait-elle changer l’identité du gagnant ?
Rappelons que le but de l’élection dans le régime proposé dans ces pages est de faire élire la personne la représentative du peuple parmi les candidats. Donc en tout logique, si A et plus représentatif que B, il l’est indépendamment de la présence ou non de C lors du vote ! Donc A devrait battre B, peu importe qu’il y ait C ou pas. A doit battre B. Point. Or ce n’est pas le cas dans le scrutin majoritaire à un tour.
Ce n’est pas le cas parce que, quand deux candidats sont proches idéologiquement ou en accord sur certains points, ils se partage leur électorat qui vote donc soit pour l’un, soit pour l’autre : dans notre exemple, les libéraux, pourtant majoritaires, se sont répartis entre deux candidats libéraux ce qui a fait baisser les scores des-dit candidats en diluant les voix libérales et a eu pour conséquence de faire élire une anti-libérale. Par la dilution des voix.
   Il s’est passé la même chose dans la réalité aux États-Unis d’Amérique, lors de l’élection présidentielle de 1992. Elle opposait trois candidats : Bill Clinton du parti démocrate (à gauche), George W. Bush, du parti républicain (à droite), et Ross Perot, un indépendant orienté à droite. On avait donc deux candidats dits « de droite » et un candidat dit « de gauche ». Finalement, les résultats étaient environ : Bill Clinton (gauche) = 43 %, George W. Bush (droite) = 37 %, et Ross Perot = 20%)

                     
Donc, on le voit, les résultats indique une majorité d’électeurs « à droite », à 57 %, pourtant, du fait que la droite ait été représentée par deux fois plus de candidats que la gauche, ses électeurs se sont retrouvés répartis, diluant leurs voix et faisant ainsi gagner le candidat « de gauche ».
Voilà qui est bizarre : une population plutôt de droite qui élit un président de gauche ! À cause de la dilution des voix lorsque deux candidats sont trop proches ou en accord sur certains points…
- n°6 : Pour tenter d’éviter ce phénomène, certaines personnes, qui pourtant pourraient avoir des choses à apporter au débat politique, refusent de se présenter à l’élection, et préfèrent soutenir un autre candidat, différent d’elles, pour faire barrage à des candidats plus éloignés idéologiquement. Cela muselle donc toute une diversité d’opinions politiques qui sont pourtant tout à fait légitimes à s’exprimer et pourraient apporter une richesse au débat d’idée. Plus généralement, les personnes vont se rassembler en « partis politiques » et vont faire taire leurs divergences dans le but d’accumuler des voix. Et en faisant cela, elles réduisent la diversité du débat en taisant des alternatives, obligeant les électeurs à faire des concessions pour voter, et s’obligeant à défendre une idéologie préétablie, celle de leur parti.
- n° 7 : Imaginons Sylvain, électeur libéral à notre élection fictive. Sylvain qui préférerait voter pour Émilie, voit pourtant l’autre candidat libéral, David, talonner Alice dans les sondages. Il se dira sûrement que, quitte à avoir un élu anti-immigration et conservateur, au moins qu’il soit libéral, comme lui ! Et donc ne votera pas pour Émilie, mais pour David dans l’espoir qu’il batte Alice. C’est ce qu’on appelle le « vote utile ». Quand les électeurs ne votent pas comme ils aimeraient voter, mais se restreignent aux candidats qu’ils détestent le moins parmi ceux qui ont une chance de l’emporter. Ce qui rompt encore la représentativité du vote et la fidélité de l’élection par rapport à ce que pense vraiment la population.
- n° 8 : Enfin, dernier point à charge contre ce scrutin, en se regroupant en un nombre restreint de partis politiques défendant des idéologies préformatées, et en demandant aux électeurs de ne désigner que l’unique personne qu’ils estiment leur correspondre, et pire encore : en comptant la personne comme une « voix » désincarnée, lors du calcul des résultats, comptant les gens comme des « électeurs de » tel parti. Ce système oblige les citoyens électeurs à « choisir leur camp », camp auquel ils seront identifiés comme à une sorte de clan. Ce système pousse les électeurs à s’identifier à leur clan politique comme à une appartenance fixe, ce qui les empêche de réfléchir convenablement, de prendre du recul par rapport aux idéologies.
De plus, comme les partis politiques et les idéologies qu’ils proposent sont peu nombreux, et que les gens sont amenés à s’identifier à eux, ils s’imprègnent de l’idéologie de leur camp, et se mettent à la défendre contre toute raison. Pire encore : les partis étant peu nombreux face à la diversité des questions politiques : économie, immigration, droit des femmes, mariage, famille, avortement, cannabis, bioéthique, environnement, terrorisme, communautarisme, LGBT, sécurité, toutes les questions géopolitiques… Les questions sont si nombreuses et les partis et leurs idéologies si peu nombreux, que la nuance devient impossible, les idéologies des partis se mettent alors à s’opposer en tout point, sans jamais qu’aucune nuance ne soit possible, devenant alors des caricatures d’elles-mêmes. On le voit aux États-Unis où il n’y a que deux partis : pour chacun des thèmes cités, les deux partis s’opposent, l’un étant pour, l’autre contre, et si vous avez un avis nuancé, vous n’avez personne pour qui voter. Le scrutin majoritaire divise donc la société en formant des clans irrationnels de plus en plus opposés les uns envers les autres.

   Donc le scrutin majoritaire à un tour est très mauvais et insuffisant, et il faut donc en chercher un autre. Précisions que, à l’exception du premier défaut soulevé, les six suivants sont tous liés au fait que le scrutin majoritaire à un tour est, rappelons le terme savant, dépendant aux alternatives non pertinentes.

3)   Le Scrutin majoritaire uninominal à deux tours
   Si au lieu d’élire directement Alice, on organisait un second tour où les électeurs devraient choisir entre les deux candidats ayant eu le plus voix au premier. Ainsi, Alice et David seraient tous les deux au second tour. Et Alice étant détestée, David l’emporterait en ralliant à lui les autres électeurs. En plus, David et libéral, ce qui correspond à la population sur le plan économique. C’est miraculeux : on a rétabli la fidélité du scrutin !
Eh bien non enfaite… Parce que cela ne résout pas les défauts du scrutin à un tour. Les 8 plaies du scrutin majoritaire à un tour sont toujours retrouvées dans le premier tour du scrutin à deux :
   Un exemple flagrant est celui de l’élection présidentielle française de 2002, lors du premier tour de celle-ci, Jacques Chirac était arrivé en tête avec 19,88 %, mais à la surprise générale, au lieu de Lionel Jospin, le candidat socialiste, ce fut Jean-Marie Le Pen qui arriva second avec 16,86 % des voix, L. Jospin, lui, arriva juste derrière avec 16,18 % des voix. Or, Lionel Jospin, d’après les sondages, aurait battu J. Chirac s’il était parvenu au second tour. On attribue souvent — à raison, au vu du fonctionnement de ce scrutin — la défaite de Lionel Jospin à des petites candidatures à gauche, notamment celles de Jean-Pierre Chevènement, qui avait recueilli quelques 5,33 % des voix, et Christiane Taubira, avec 2,32 %. Si ces candidats ne s’étaient pas présentés, une partie de leurs électeurs auraient alors voté pour le candidat socialiste, ce qui l’aurait fait passer au second tour, après quoi il aurait pu battre J. Chirac comme le prédisaient les sondages.
Donc le premier tour de ce scrutin est toujours dépendant aux alternatives non pertinentes. Ce qui conduit inexorablement pour les électeurs à devoir mettre en place des stratégies de vote utile.
   On l’a vu avec l’élection présidentielle française de 2017, où, par peur d’un duel au second tour entre les deux candidats conservateurs François Fillon et Marine Le Pen, tout un pan de l’électorat français progressiste a voté massivement pour le principal candidat progressiste : Emmanuel Macron, alors qu’ils auraient peut-être aimé voter pour Benoît Hamon ou Jean-Luc Mélenchon, voire pour Nathalie Arthaud ou Philippe Poutou. Ils ont donc pratiqué le vote utile, par crainte d’un duel entre François Fillon et Marine Le Pen, les deux candidats conservateurs…
De la même manière, les électeurs en accord avec Nicolas Dupont-Aignan, ou François Asselineau, ont massivement voté « utile » pour Marine Le Pen, le principal candidat souverainiste. Ils votent donc « utile », comme le dans le scrutin à un tour, la seule différence avec ce dernier, c’est qu’au lieu de voter utile pour « élire » un candidat, ils votent utile pour le faire « passer au second tour » …

   En conclusion, le premier tour du scrutin à deux tours est toujours dépendant aux alternatives non pertinentes. Il nous faut donc nous mettre en quête d’un autre scrutin.

4)   Le Vote alternatif
   Mais on peut faire la remarque que cette dépendance aux alternatives non pertinentes existe parce que, lors du premier tour de scrutin, on élimine plusieurs candidats d’un coup, ce qui fait qu’on a donc balayé d’un coup plusieurs candidats libéraux, plusieurs candidats de gauche, plusieurs candidats conservateurs, etc... Or, si l’on n’avait éliminé qu’un seul candidat, celui avec le moins de voix, alors ses électeurs se seraient reportés sur d’autres candidats proches idéologiquement, et on aurait pu à nouveau éliminer le candidat avec le moins de voix, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un.
En n’éliminant qu’un candidat à la fois, on peut penser que le scrutin sera plus robuste aux alternatives non pertinentes car on n’élimine qu’un candidat libéral à la fois, qu’un candidat de gauche à la fois, etc… Et leurs électeurs pourront donc se reporter sur les candidats restant proches idéologiquement.
Ce scrutin semble absolument infaisable : s’il y a 11 candidats, cela veut dire qu’il faudrait faire 10 tours pour élire le gagnant… Impossible !
Eh bien si enfaîte, et on peut même tout faire en un seul tour ! il suffit de demander aux électeurs dans leurs bulletins, non pas de désigner uniquement le meilleur candidat selon eux, mais de classer les candidats de celui qu’ils préfèrent à celui qu’ils aiment le moins ou détestent le plus. Ainsi, un bulletin ressemblerait, par exemple, à ça :
1.   Cannelle
2.   Bastien
3.   Alice
4.   Émilie
5.   David
Au début, pour simuler le premier tour, on ne prend en compte que le candidat n°1 sur les bulletins, et on calcule leurs scores comme dans un scrutin majoritaire classique. Puis on élimine le candidat avec le moins de voix, et on raille son nom sur tous les scrutins, après quoi on attribue les bulletins l’ayant mis en tête aux candidats se trouvant en deuxième position. On recalcule ensuite les scores des quatre candidats restant en tenant compte des reports de voix des électeurs qui avaient mis le candidat perdant en tête. Puis on ré-élimine le candidat parmi les quatre à avoir le moins de voix, et on continue ainsi de suite jusqu’à ce qu’il ne reste qu’une seule personne.
   Ce scrutin semble intéressant, et il l’est pour la raison évoquée plus haut, du fait qu’il n’élimine qu’un candidat à la fois mais il peut quand même amener à des bizarreries :
Prenons un exemple avec d’autres candidats fictifs : Gabrielle, Hugo et Isabelle. Supposons que l’électorat se partage très simplement comme suit :
34 % : Gabrielle > Hugo > Isabelle (n°1 : Gabrielle, n°2 : Hugo, n° 3 : Isabelle)
32 % : Hugo > Isabelle > Gabrielle
34 % : Isabelle > Hugo > Gabrielle
Avec seulement 32 % des voix, Hugo est le candidat ayant fait le moins bon score, il est donc éliminé, et ses électeurs se reportent sur Isabelle, qui l’emporte donc sur Gabrielle avec 66 % contre 34.
Mais imaginons que la campagne électorale ait été différente. En particulier, imaginons qu’Isabelle, la gagnante, ait fait une encore meilleure campagne et ait réussi à convaincre encore plus de ses électeurs potentiels d’aller voter, gagnant ainsi 3 %. A contrario, Gabrielle, elle, a fait une moins bonne campagne, ses voix sont moins nombreuses : elle perd 3 % par rapport à la première simulation. On a donc :
31 % : Gabrielle > Hugo > Isabelle
32 % : Hugo > Gabrielle > Isabelle
37 % : Isabelle > Hugo > Gabrielle
Cette fois-ci c’est Gabrielle qui est éliminée. Logique, puisqu’elle a fait une moins bonne campagne, elle a mobilisé moins d’électeurs. Mais ce que l’on remarque, c’est que ses électeurs, en conséquence, se reportent sur Hugo ! Et par conséquent c’est Hugo qui gagne avec 63 % contre 37 pour Isabelle !
Isabelle est donc perdante alors qu’elle a fait une meilleure campagne ! Ce qui est complètement absurde ! Le Vote alternatif a donc comme conséquence que, lorsque l’on progresse dans l’opinion publique, on peut régresser dans le classement final, ce qui est absurde ! Et on peut se demander s’il n’y a pas un scrutin qui ne présente pas ce défaut.

5)   Le Scrutin de Condorcet
   Bien… Donc qu’on élimine plusieurs candidats d’un coup, ou qu’on n’en élimine qu’un seul à la fois, cela donne un scrutin qui présente quand même des défauts… Mais une chose est intéressante à remarquer : nous avons pointé du doigt les défauts des premiers tours du scrutin à deux tours et du vote alternatif (bien que, techniquement, il n’y ait qu’un seul « tour » au vote alternatif, je veux parler des étapes où l’on élimine des candidats). Mais, in fine, le denier tour de scrutin à deux tours et la dernière étape du vote alternatif, où il n’y a plus que deux candidats : les deux « finalistes », sont-elles exemptes de défaut ?
   Eh ben… Oui. De façon surprenante, les sept premières plaies du scrutin à un tour ne s’appliquent pas à un duel entre seulement deux candidats ! En effet, s’il n’y a que deux candidats, le point n°1 consistant à dire qu’il est dommageable de ne pas exprimer ce que l’on pense de tous les candidats, et de se retreindre juste à indiquer le candidat que l’on préfère parmi les candidats présents n’est pas vraiment dérangeant car, dans la mesure ou il n’y a que deux candidats, indiquer celui que l’on préfère suffit pour signifier que l’on pense que l’autre est moins bon. Il n’y a pas de troisième candidat à qui comparer le second, donc se contenter d’indiquer que l’on préfère le premier au second suffit.
Les points n°2, 3, 4, 5, 6 et 7 sont liés à la dépendance aux alternatives non pertinentes, soit parce qu’ils en sont une partie du mécanisme, soit parce qu’ils en sont la conséquence. Or, lors d’un duel, il n’y a pas d’alternatives non pertinentes, car il n’y a que deux choix. On peut donc juger si la population préfère A à B ou B à A de façon purement indépendante de l’existence de C.
De plus, le problème soulevé dans la partie précédente sur le vote alternatif, selon lequel lorsque l’on progresse dans l’opinion, on peut régresser dans le classement final, n’existe pas quand il n’y a que deux candidats. En effet, si A progresse dans l’opinion, alors il ne peut que récolter plus de voix et ces voix gagnées ne pourront que l’aider à battre B, en augmentant son score face à ce dernier.
   Mais alors, faut-il restreindre l’élection à seulement deux candidats ? Non, bien évidemment. Mais on peut faire en sorte de n’avoir que des duels avec plus que deux candidats. C’est la méthode proposée par le marquis Nicolas de Condorcet. La méthode marche comme suit :
Dans leurs bulletins de vote, les électeurs classent les candidats du premier au dernier, de celui qu’ils préfèrent à celui qu’ils aiment le moins ou détestent le plus. On obtient un bulletin de vote similaire à celui du vote alternatif, à ceci près que, pour le scrutin de Condorcet, les électeurs peuvent mettre plusieurs candidats au même niveau, à égalité. Par exemple, pour notre élection fictive avec nos cinq candidats, ils peuvent mettre :
1.   Cannelle
2.   Bastien
3.   Alice & Émilie
4.   David
Une fois avoir dépouiller tous les bulletins, pour « simuler » un duel entre deux candidats, il suffit de prendre le candidat le mieux classé parmi les deux dont on veut faire le duel, le bulletin compte comme une voix pour ce candidat, dans le duel contre l’autre. Ainsi, dans l’exemple de ce scrutin, lors du duel entre Alice et Bastien, le bulletin présenté à l’instant compte comme une voix pour Bastien, car l’électeur de ce bulletin préfère Bastien à Alice, dans le duel « Alice contre Bastien » il aurait voté pour Bastien. Mais lors du duel entre Alice et Émilie, ce bulletin compte comme un vote blanc, ou une égalité, car l’électeur de ce bulletin estime que, pour lui, Alice et Émilie se valent, il n’a pas de préférence pour l’une ou pour l’autre.
Une fois tous les duels faits, le candidat qui est élu est le candidat qui a gagné tous ses duels, notez bien, tous ses duels, pas juste « le plus de duels », mais bien tous ses duels.
   L’idée de ce scrutin est simple, elle se base sur le principe très élégant qui veut que « Si un candidat est préféré à un autre par une majorité d’électeurs [quand ils sont confrontés l’un contre l’autre, en duel], alors il doit le battre dans le classement final de l’élection », en conséquence, celui qui bat tous les autres, ne peut être qu’élu.

   Ce scrutin possède une qualité que très peu de scrutins ont : du fait qu’il considère des duels, il est l’un des très, très rares scrutins, pour ne pas dire le seul, à être enfin indépendant aux alternatives non pertinentes. En effet, reprenons l’exemple de notre élection fictive, si Florent, proche idéologiquement d’Alice, se présente à l’élection, alors, au scrutin majoritaire, à un tour ou deux, lui et Alice se partageront leurs voix et leur électorat ; mais au scrutin de Condorcet, lors du duel entre Alice et Bastien, par exemple, la présence de Florent à l’élection ne change pas le résultat d’Alice ou de Bastien, les électeurs qui préfèrent Alice à Bastien continueront de mettre Alice avant Bastien et inversement. Donc la présence ou non de Florent ne change pas les résultats pour les autres candidats entre eux. Par conséquent si, parmi ces cinq candidats, il y en a un ou une qui remporte tous ses duels, alors il ou elle continuera de remporter tous ses duels, qu’il y ait Florent ou pas, car il ne compte pas lors des duels qui ne le concerne pas. Et cette dernière phrase vaut pour chaque candidat qui se présenterais. Donc deux candidats proches idéologiquement peuvent tout à fait se présenter individuellement sans craindre de se gêner l’un l’autre par dilution des voix.
   En outre, comme il ne demande pas de désigner le meilleur candidat selon nous et de nous y restreindre, mais d’indiquer la liste complète et subtile de nos préférences, bien que, dans le calcul des résultats, certes, chaque électeur est compté comme une voix désincarnée pour le candidat qu’il préfère sur les deux lorsqu’on calcule les résultats de leur duel, mais comme il n’est fait que des duels, la voix de l’électeur n’est pas comptée systématiquement comme une voix pour le même candidat. Tout cela fait que, du coup, le scrutin de Condorcet ne demande pas aux gens de « choisir leur camp », et ne les identifie pas à un clan idéologique. Combiné au fait que, en l’absence de vote utile, tout candidat peut se présenter, offrant ainsi une offre politique bien plus riche et diversifiée que dans les scrutins majoritaires, cela permet alors aux électeurs de ne pas se retrouver enfermer dans une idéologie caricaturale, et d’avoir une pensée politique bien plus riche que « moi je vote pour tel parti ».
   Enfin, le principe sur lequel il se fonde est très élégant : si un candidat est préféré à un autre, il doit être prioritaire pour se faire élire. Donc celui qui est systématiquement préféré à tous les autres, lorsqu’on les compare deux à deux, est prioritaire sur tous les autres pour être élu, il doit donc être élu.

   Malheureusement — car en ce bas monde, rien ne va jamais sans un souci — Il se peut qu’il n’y ait pas de candidat battant TOUS ses adversaires. En effet, si A bat B, que B bat C mais que C bat A, ce qui tout à fait possible, alors le vote ne permet pas de rendre de résultat satisfaisant.
   Et il y a aussi un autre « problème » avec ce scrutin, qui rebute plus d’une personne à l’adopter : Imaginez un électeur « de droite », libéral et conservateur, et une élection à trois candidats : un de gauche, un de droite, et un centriste. L’électeur va donc rendre un bulletin comme suit :
Candidat de droite > centriste > candidat de gauche
Donc dans le duel entre la gauche et le centre, il votera pour le centre pour faire barrage à la gauche. Or, un électeur de gauche, lui, rendra un bulletin comme ça :
Candidat de gauche > centriste > candidat de droite
Ce qui revient à dire que dans le duel entre la droite et le centre, ce dernier électeur votera pour le centre dans l’espoir de faire barrage à la droite…
   Et on voit ici ce qui rebute beaucoup : dans le duel Centre/Droite, l’intégralité de la gauche votera pour le centre pour faire barrage à la droite, et dans le duel Gauche/Centre, l’intégralité de la droite votera pour le centre dans l’espoir de faire barrage à la gauche. Donc le Centre est fortement avantagé dans ce scrutin… Et au niveau national, où la gauche et la droite sont toujours plus ou moins à égalité, un tel scrutin amènerait très souvent à l’élection d’un candidat centriste, parce l’intégralité de la droite aura fait barrage à la gauche et l’intégralité de la gauche aura fait barrage à la droite. Le centre peut donc se retrouver élu, mais élu « par défaut » alors qu’n lui-même, le centre n’est pas très apprécié…
   Je tiens cependant tout de suite à apporter une réponse à cette critique : si ce raisonnement se vaut pour le nveau national, n’oublions pas que nous cherchons ici à élire un parlement, donc une assemblée de plusieurs personnes, nous allons donc diviser le pays en plusieurs petites circonscriptions et chacune votera pour élire son parlementaire qui siégera au parlement. Or, ce raisonnement n’est pas aussi valable au niveau d’une petite circonscription. En effet, ce n’est pas le candidat « centriste » qui est élu, mais le candidat « au centre de l’électorat », or, si l’intégralité de l’électorat se répartis entre le centre-gauche et l’extrême gauche, le vainqueur selon la méthode de Condorcet sera un candidat simplement « de gauche » !
Et si ce cas de figure n’est jamais retrouvé au niveau national, où droite et gauche sont toujours à peu près égales, il n’en va pas de même à des échelles plus locales, par exemple : dans les terres ouvrières, qui étaient historiquement socialo-communistes, la majorité des électeurs se répartissent entre le centre-gauche et l’extrême gauche, ou encore les centres-villes des grandes métropoles, et leurs électorats plus libéraux... Donc le vainqueur selon Condorcet est le candidat au centre de l'électorat, or l'électorat dépends de la sociologie, et la sociologie dépends de la géographie ! Donc si on utilise ce scrutin, non pas pour une élection nationale, mais pour l'une des chambres du parlement, en divisant le pays en circonscriptions, on n’aurait pas forcément une majorité de centristes.
   Et j’aimerais aussi apporter un autre élément de réponse : ce fait pour le scrutin d’élire le candidat central de l’électorat s’applique enfaite à tout les paramètres qui font qu’un candidat peut être à la fois aimé et détesté, dont sa tendance à la démagogie et au mensonge ! En effet, un candidat qui fait beaucoup de déclarations irréalistes va avoir tendance à s’attirer la sympathie d’un électorat très polarisé, mais il se fera rejeter par tous les autres électeurs. Mais cette stratégie, si elle est favorisée par le scrutin majoritaire (encore une fois : au scrutin majoritaire, comme les électeurs ne peuvent pas pénaliser les candidats qu’ils détestent, la seule mauvaise publicité est celle qui ne se voit pas), est par contre sanctionnée de façon extraordinairement sévère par le scrutin de Condorcet. Car si un candidat s’attire lance polémiques sur polémiques, il s’attirera peut-être les faveurs de 10, 20 voire 30% des électeurs, mais le dégoût et la détestation de 60, 70 voire 80 % d’autres électeurs, ce qui le desservira plus qu’autre chose. C’est l’argument n° 6 en faveur du tirage au sort, et cet argument s’applique aussi à l’élection au scrutin de Condorcet
   Et il en va de même pour un candidat qui ne polémique pas spécialement, mais qui, du fait d’une campagne électorale trop forte, trop envahissante parce qu’il y aura investi trop d’argent, fait que certains électeurs vont en avoir de marre de lui et il va baisser dans l’opinion. Ce qui va le desservir lors du vote. On voit donc que le scrutin de Condorcet permet de réguler naturellement le problème des campagnes électorale réservées aux riches et à ceux qui mènent des politiques favorisant de riches donateurs et obéissants à l’idéologie de détenteurs de grands médias. Avec le scrutin de Condorcet, une campagne électorale trop soutenue, trop envahissante, car trop financée et trop médiatisée, peut être sanctionnée par les électeurs. C’est cette fois-ci l’argument n° 7 en faveur du tirage au sort, qui s’applique aussi à l’élection au scrutin de Condorcet

   Bien, mais cela ne règle pas le premier problème évoqué : si A bat B, que B bat C mais que C bat A. Il n’y a tout simplement pas de vainqueur. N’y a-t-il pas alors un autre scrutin qui serait capable de rendre un résultat, tout en étant aussi bon que le scrutin de Condorcet ?

6)   Le Vote par moyenne
   Après avoir vu plusieurs scrutins, on remarque que l’on ne s’est intéressé qu’aux scrutins qui demandaient aux électeurs de classer les candidats, or il n’y a pas que ces scrutins-là. En effet certains scrutins ne demandent pas de classer les candidats, en indiquant ses préférences, mais de les noter individuellement et indépendamment sur une échelle de 0 à 10, ou 0 à 20.
Or, ces scrutins peuvent représenter une excellente alternative aux scrutins où l’on classe les candidats. Car ils ne sont pas soumis à un théorème bien connu des mathématiques des scrutins : le théorème d’impossibilité d’Arrow, développé par l’économiste américain Kenneth Arrow. Ce théorème énonce, de manière simplifiée, la chose suivante : « Il n’existe aucun scrutin basé sur l’agrégation des préférences individuelles qui soit en même temps :
- Universel : c’est-à-dire qu’il soit toujours capable de rendre un résultat.
- Non-dictatorial : aucun bulletin ne va, dans le calcul des résultats, primer sur tous les autres.
- Unanime : si tout le monde préfère un candidat, s’il y a unanimité pour élire ce candidat, alors le candidat est sûr d’être élu.
- Indépendant aux alternatives non pertinentes. »
   En effet, si tous les scrutins présentés ici remplissement bien les critères de non-dictature et d’unanimité, le scrutin de Condorcet est le seul à être indépendant aux alternatives non pertinentes, mais cette indépendance se fait au prix du premier critère : l’universalité. En effet, le Scrutin de Condorcet peut ne pas en rendre de résultat : dans le cas où A bat son duel contre B, où B bat C mais où C bat A, il n’existe pas de vainqueur, le scrutin de Condorcet n’est donc pas « universel », contrairement aux autres scrutins.)
Et avoir un scrutin qui remplirait les conditions d’universalité et d’indépendance aux alternatives non pertinentes ne pourrait se faire qu’en sacrifiant l’unanimité, c’est-à-dire qu’un candidat pourrait perdre alors que tous le monde le préfère aux autres, on la non-dictature, c’est-à-dire que le scrutin pourrait prendre au hasard un bulletin parmi tous et se conformer à cet unique bulletin, négligeant les autres. Ce qui serait encore plus absurde !
   La démonstration du théorème ne sera pas affichée ici car elle fait intervenir des mathématiques techniques et contient quantité de « lemmes », c’est-à-dire des démonstrations intermédiaires qui produisent des conclusions dont on se servira pour faire la démonstration finale. Donc le « Théorème d’impossibilité d’Arrow » devrait plutôt s’appeler la « Série des théorèmes d’impossibilité d’Arrow ».

   Néanmoins, bien que ce théorème soit démontré et valide, la démocratie n’est pas perdue. Car ce théorème concerne les scrutins où l’on classe les candidats, pas où on les note individuellement sur une échelle absolue.
Mais une fois que tous les électeurs auront noter les candidats, comment agréger en une seule note l’intégralité de celles qu’aura reçus un candidat de la part de tous les électeurs ? La première méthode à laquelle on pense est bien sûr la moyenne. On demande donc à chaque électeur de noter l’ensemble des candidats, puis, après avoir fait la moyenne des notes qu’auront reçus les candidats, celui avec la meilleure note moyenne est élu.
Cette méthode peut paraître très rebutante, car on ne s’imagine pas « noter » les candidats d’une élection. Ce sentiment qui nous est inspiré vient du fait que nous sommes trop habitués à nos très mauvais scrutins majoritaires uninominaux, bien au-delà de la raison. Pourtant, la note sur une échelle numérique est actuellement utilisée pour évaluer les compétences des élèves dans le cadre scolaire, alors pourquoi pas la représentativité et les compétences d’un candidat ? Ajoutons que la note scolaire permet aussi aux universités de choisir, « d’élire », car élire est un synonyme de choisir, les élèves de lycée assez méritants pour y entrer par le biais de leurs notes. Donc ce système de choix, d’élection par la note, est déjà utilisé en dehors de la politique.
De plus, en ce qui concerne son application en politique, il faut se rappeler que cette méthode avait déjà été proposé par le mathématicien français Jean-Charles de Borda, en 1770 ! 1770, c’est-à-dire bien avant l’indépendance des États-Unis d’Amérique, et presque cinquante ans avant la révolution française. A une époque où il n’existait aucune démocratie, ne serait-ce « qu’indirecte », en occident. A cette époque, quasiment aucun système d’élection n’était donc mis en place, car il n’y avait que des monarchies en Europe, et nos scrutins majoritaires uninominaux que nous avons tendance à considérer comme la norme, parce que nous ne nous sommes jamais posé la question, semblaient tout aussi fantasques ! Voire plus, car les défauts du scrutin majoritaires, en termes de vote utile, sont évident pour quiconque se y réfléchie un peu. Donc il faut savoir dépasser nos sentiments vulgaires, primitifs et irrationnels et se pencher sur les avantages de la méthode de la note moyenne.
   Ce système est très intéressant car il permet une représentation bien plus riche de ce que penses les électeurs. En effet, pour reprendre l’exemple de l’élection fictive de nos cinq candidats, le bulletin suivant « Cannelle > Bastien > Alice = Émilie > David » trouvable dans le scrutin de Condorcet, dit que, par exemple, cet électeur préfère Cannelle à tous les autres, mais il ne dit pas s’il « aime » vraiment Cannelle ou s’il vote pour elle par défaut, plus pour faire barrage aux autres que par véritable adhésion pour ses idées. Il ne dit pas non plus à quel point il préfère Cannelle aux autres, peut qu’il trouve Bastien presque aussi bien que Cannelle, ou alors qu’il estime que Cannelle est très loin devant tous les autres. Le scrutin de Condorcet de permet pas d’expliciter « l’intensité de la préférence », l’écart entre les candidats dans l’estime de l’électeur, il ne fait qu’indiquer l’ordre de préférence sans préciser la distance entre eux. Alors que le bulletin : « Cannelle : 17/20, Bastien : 12/20, Alice : 7/20, Émilie : 7/20 et David : 4/20 » indique bien que Cannelle est très loin devant tous les autres, et se distingue bien de « Cannelle : 13/20, Bastien : 12/20, Alice : 7/20, Émilie : 7/20 et David : 4/20 » alors que l’ordre de préférence est le même, mais dans ce second bulletin, Cannelle est juste devant Bastien, elle n’est plus loin devant tout le monde.
Mais plus intéressant encore que « l’intensité de la préférence », qu’indique le vote par moyenne que n’indiquent pas votes par classement, il indique aussi « l’intensité de l’adhésion » du vote. En effet, il y a une grosse différence

Orphel:
Partie III. Le Gouvernement et ses rapports avec le parlement : le type de régime

   Traditionnellement il existe deux grands types de régimes représentatifs : le régime présidentiel, aussi nommé système américain, et le régime parlementaire, aussi appelé système européen, selon l’identité de la personne qui possède le rôle de chef de gouvernement et ce que cela implique. L’État archétypal du régime présidentiel sont les États-Unis d’Amérique, tandis que pour le régime parlementaire, on peut se référer au fonctionnement de l’un des nombreux régimes représentatifs européennes, comme le Royaume-Unis ou l’Allemagne. Le cas de la France est très particulier et mériterait d’être évoqué après avoir vu les deux premiers systèmes. Mais commençons par examiner les deux grands types de régime en commençant par ce qui se fait chez l’oncle Sam.

1)   Le Régime présidentiel
   Dans le régime présidentiel, le chef de gouvernement, c’est-à-dire celui qui est chargé de coordonner l’action des membres du gouvernement, et qui est aux commandes de l’appareil exécutif du pays, est également le Chef de l’État. Le Chef de l’État est la personne chargée de la fonction symbolique bien que tout aussi politique que les autres d’incarner la continuité de l’État et l’unité de la population, et représente l’ensemble des citoyens devant les puissances étrangères. Mais surtout il sert d’un point de vue pragmatique, ou est censé servir, de figure de proue autours de laquelle les citoyens puissent se rassembler : idéalement, il a un rôle politique fédérateur de la population. Dans une république le Chef d’État est un Président, tandis que dans une monarchie, c’est le Monarque.
Quoi qu’il en soit, dans le régime présidentiel, le Chef d’État possède l’autorité sur le pouvoir exécutif, faisant de lui le chef du gouvernement, nommant des ministres ou secrétaires d’État qui appliqueront sa volonté dans les différents domaines du pouvoir exécutif. On parle alors d’un exécutif « monocéphale », avec une seule tête, car les deux chefs de l’État et du gouvernement sont la même personne.
Evidemment, pour que ce type de régime soit « démocratique », il ne peut être qu’une république, le chef d’État ne peut pas être un monarque désigné par l’hérédité.
Pour établir la légitimité du Président devant le parlement, ce dernier doit donc être élu par le peuple au suffrage direct. Ce n’est techniquement pas le cas aux États-Unis, mais les électeurs élisent des gens qui promettent d’élire un candidat en particulier, et dans les faits la campagne électorale présidentielle se passe comme si l’élection se déroulait au suffrage direct.
Or, le parlement est aussi élu au suffrage direct, le gouvernement comme le parlement sont donc tous les deux tout aussi légitimes l’un que l’autre.
   Dans ce système, parlement et gouvernement sont donc tout aussi légitimes l’un que l’autre car désignés par le suffrage universel direct. Mais, dès lors que ces deux institutions sont d’une légitimité égale, en cas de conflit entre les deux, l’une ne peut faire valoir la priorité sur l’autre. Et dans le cas où le gouvernement et le parlement seraient en désaccord, aucun ne peut faire plier l’autre, ce qui peut amener à des blocages puissants, appelé « Shutdown » aux États-Unis.
Un exemple de Shutdown est ce qu’il s’est passé en octobre 2013, lorsque l’administration Obama avait décidée d’un budget pour l’administration, le parlement américain avait refusé plusieurs fois de le voter. Le gouvernement d’Obama n’avait pas le pouvoir de faire plier le parlement, et le parlement n’avait pas le pouvoir de décider d’un autre budget seul ou de changer le gouvernement ce qui, au premier octobre 2013, faisait que de nombreux fonctionnaires américains s’étaient retrouvés sur le carreau.
   Le régime présidentiel implique ce qu’on appel une « séparation stricte des pouvoirs », c’est-à-dire que non seulement les pouvoirs exécutifs et législatifs appartiennent à des institutions différentes, mais en plus ces institutions ne peuvent pas infléchir sur les actions de l’autre. Ce qui, en cas de désaccord entre les deux pouvoirs, mène à des situations de blocage parfois insurmontables.
   Ce système n’est pas désirable pour le modèle d’institutions proposées dans ces pages. Car le but est, je le rappelle, d’avoir des institutions qui soient le plus représentatives possible du peuple (car si elles ne le sont pas, elles prendront des décisions qui seront abrogées en RIC), or une personne unique désignée comme le chef du gouvernement peut difficilement être représentative de la richesse et de la diversité politique dans la population, ou ne serait-ce qu’une partie de celle-ci. Il est par conséquent inenvisageable de céder à cette unique personne l’entièreté du pouvoir exécutif sans qu’elle ne puisse être contrôlée ou influencée par le parlement, qui serait pourtant beaucoup plus représentatif qu’elle.
De plus, ce qui a été dit sur les RIC d’abrogation marche aussi pour les RIC de révocation, visant à forcer un élu à démissionner et refaire une élection : si le Président élu mais qu’il n’est pas soutenu par la majorité de la population, il sera immédiatement forcé à démissionner à cause d’un référendum révocatoire que se seront empresser de voter tous ceux qui ne le soutenaient pas.
Il faut donc cherche un mode de gouvernement qui soit plus représentatif du peuple et fidèle à ce dernier que le régime présidentiel.

2)   Le Régime parlementaire
   Dans le régime parlementaire, le Chef d’État n’a aucun ou presque pouvoir politique, la responsabilité de l’exécutif appartient à une personne distincte, dont le titre officiel peut être celui de Premier ministre, comme au Royaume-Unis, ou Chancelier, en Allemagne. De la même manière, donc, que l’on parlait d’exécutif « monocéphale » quand une même personne endossait les deux casquettes, on parle ici d’exécutif « bicéphale », car le Chef d’État exerce la fonction symbolique, et le et chef du gouvernement le pouvoir politique.
Dans ce système, le chef d’État ne peut être élu par le peuple au suffrage direct, car ce mode de désignation est le plus « légitimant », et l’élection nationale au suffrage direct impliquerait un programme électoral pour justifier l’élection, et donc cela impliquerait que le chef d’État élu aurait un pouvoir politique. Classiquement, le chef d’État d’un régime parlementaire est soit un président élu par les parlementaires dans le cas d’une république parlementaire telle l’Allemagne, mais il peut aussi être un monarque désigné par l’hérédité dans le cas des monarchies parlementaires comme le Royaume-Unis.
De plus, il ne faut pas oublier que, bien que dépourvu de pouvoir concret, la fonction de Chef d’État est la plus haute fonction de l’État symboliquement parlant, son statut est le statut le plus prestigieux. Or, si on élisait le chef du gouvernement au suffrage universel direct, alors cela lui octroierait une légitimité supérieure à celle du chef de l’État, et ferait de l’ombre au pouvoir supposé fédérateur de ce dernier. Le chef du gouvernement ne peut donc pas non plus être élu directement.
Traditionnellement, c’est le Chef d’État qui nomme le chef de gouvernement. Mais, là où le régime devient « parlementaire », c’est que comme le parlement peut voter une « motion de censure » pour forcer le gouvernement à démissionner. Le pouvoir du parlement via la motion de censure se justifie d’un point de vue démocratique par le fait que le parlement, lui, est élu. Il est donc démocratiquement légitime qu’il puisse démettre de ses fonctions et stopper l’action d’une personnes non élue.
Ainsi, même si le Chef d’État nomme le gouvernement et son chef, c’est bien le parlement qui induit cette nomination, car il peut le forcer à démissionner, quand il n’élit pas directement le chef du gouvernement comme c’est le cas en Allemagne, où le parlement soumet au Président un candidat élu par les parlementaires au poste de Chancelier fédéral, que le Président n’a pas le pouvoir de refuser. Le Gouvernement est donc subordonné au parlement.
Par conséquent, en cas de crise politique opposant le gouvernement au parlement, c’est le parlement qui a le dernier mot, c’est en cela que le régime est « parlementaire ».
   Enfin, il y a bien un pouvoir que possède le Chef d’État, celui de dissoudre le parlement et provoquer une nouvelle élection de ce dernier. Néanmoins, n’étant pas élu par le peuple, le Chef d’État n’a qu’une très faible légitimité à user de ce pouvoir, et les seules situations où il est vraiment autorisé à le faire est le cas où il y aurait une instabilité politique, aboutissant au fait qu’il ne puisse y avoir de gouvernement stable car le parlement voterait motion de censure sur motion de censure.
Prenons un exemple concret : si dans le parlement un tier des parlementaires sont communistes, un autre tier libéral, et un autre tier nationaliste protectionniste, alors si le Chef d’État nomme un gouvernement libéral, les deux tiers du parlement (communistes et nationalistes) voteront la motion de censure, si un gouvernement communiste est nommé pour le remplacer, les deux tiers du parlement (libéraux et nationalistes) voteront à nouveau la motion de censure, et ainsi de suite…
Dans cette unique situation d’instabilité politique, le Chef d’État peut agir en provoquant une nouvelle élection parlementaire et espérer rétablir une majorité stable d’un seul camp politique au sein du gouvernement.
   Dans ce régime, la séparation des pouvoirs est dite « souple », car bien que les institutions qui exercent les différents pouvoirs ne soient pas les mêmes, elles ont la possibilité de s’influencer l’une l’autre.
Toujours dans cette optique de souplesse dans la séparation des pouvoirs, dans les régimes parlementaires, les membres du gouvernement sont également dotés de « l’initiative législative ». C’est-à-dire qu’ils peuvent proposer des lois au parlement, que celui-ci est libre de voter ou pas, sans que le gouvernement n’interviennent ensuite, mais le gouvernement peut proposer des lois, ce qui est impossible en régime présidentiel. En régime présidentiel, l’initiative législative est exclusive aux parlementaires, les ministres s’occupent de l’exécutifs, les parlementaires du législatif, c’est clair, net et précis, et personne n’empiète sur les plates-bandes de l’autre, point.
   L’avantage de ce système est qu’il n’y a plus de problème de blocage des institutions avec un parlement et un gouvernement qui camperaient sur leurs positions sans qu’aucun ne puisse démettre l’autre. Ce qui aboutirait aux « shutdowns » à l’américaine. De plus, l’initiative législative accordée aux membres du gouvernement permet une communication et une coopération des différents pouvoirs. Le régime parlementaire est donc basé sur la coopération entre les institutions.
   Mais il y a deux problèmes à ce système : d’abord, le gouvernement n’est stable que s’il est soutenu par une majorité absolue de parlementaire, or, le parlement proposé dans ce texte est fait pour être fidèle au peuple, donc pour qu’il y ait une majorité absolue de parlementaires de la même orientation politique, il faut que la majorité absolue du peuple soit de la même orientation politique, ce qui est utopique. On peut néanmoins avancer un contre-argument avec l’exemple de l’Allemagne : là-bas, la motion de censure n’est effective que si le parlement réussi à élire son remplaçant à la majorité absolue. Autrement dit, il ne suffit plus au parlement de réunir une majorité qui se contente de rejeter le Chancelier actuel, il lui faut réunir une majorité qui soutienne un même nouveau Chancelier, ce qui rend le gouvernement plus stable.
   Mais un autre argument contre ce régime dans le système que ce texte propose est qu’il y a déjà une source potentielle d’instabilité politique : le Référendum d’initiative citoyenne.
Si le peuple est déjà capable de rejeter nombre des réformes que tenterait le gouvernement de mettre en place, alors rajouter à cette source potentielle d’instabilité la possibilité que le gouvernement puisse lui-même changer continuellement à coup de motions de censure aboutirait à un État beaucoup trop instable.

3)   Le Cas de la France : le régime semi-présidentiel
   Il ne sera question ici que d’aborder rapidement la spécificité de la cinquième république française. Car celle-ci est vraiment très particulière :
Si on voulait la comparer aux deux régimes présentés ci-dessus, on pourrait la rapprocher d’une république parlementaire : le Président, en tant que Chef de l’État nomme le gouvernement et son chef, l’exécutif est donc bien bicéphale, ledit gouvernement peut être forcé à démissionner par une motion de censure votée par l’Assemblée nationale, la chambre basse du parlement. Et le Président peut dissoudre cette même Assemblée nationale et provoquer de nouvelles élections. Jusque-là, une république parlementaire classique…
   Sauf que… Le Président est élu au suffrage universel direct ! Et qui dit élection au suffrage direct, dit programme politique pour mener une campagne électorale devant les français et justifier son élection, donc dit que le Président est élu sur un projet politique qu’il est légitime à mettre en place. Bien qu’il ne respecte que rarement ses promesses (mandat représentatif, quand tu nous tiens…), le suffrage direct lui donne une légitimité à agir en politique car il fait de lui un représentant du peuple. Le plus haut représentant, même, puisqu’il est le seul à être élu par tous le pays, les députés n’étant élus que dans des petites circonscriptions du pays.
Donc, bien que dans la constitution, ce soit le Premier ministre, en tant que chef du gouvernement, qui exerce officiellement le pouvoir exécutif, c’est le Président qui supervise véritablement le pouvoir. Car non seulement il nomme le Premier ministre, mais en plus, comme il est légitime à faire appliquer sa politique, étant élu par le pays, il est aussi légitime à protéger le gouvernement lorsque l’Assemblée nationale s’oppose à lui, et donc de dissoudre cette dernière sitôt qu’elle s’apprête à voter une motion de censure. On voit donc que ce changement qui semblait anodin, élire le Président au suffrage direct, change enfaite complètement le rapport de force entre législatif et exécutif : dans le régime parlementaire, le gouvernement est subordonné au parlement, dans le régime semi-présidentiel français, c’est le contraire. L’exécutif y est très puissant, et entièrement dirigé par le Président.
   Mais ce n’est pas tout : d’autres procédures spécifiques au régime français et non retrouvées ailleurs, en tout cas toutes ensemble, augmentent encore la puissance politique de l’exécutif et du Président, pour le gouvernement dans son ensemble :
- Le gouvernement peut choisir une partie de l’ordre du jour du parlement. C’est-à-dire qu’il peut décider de quel sujet vont débattre les parlementaires lors de certaines séances.
- Le gouvernement peut demander au parlement d’écrire des lois directement à sa place, bien que cette procédure soit encadrée par un accord du parlement au début dans un domaine spécifique (le parlement donne son accord pour une loi sur un sujet donné, pas sur tous), puis la discussion de la loi écrite par les parlementaires et son vote en procédure ordinaire à la fin. Cette procédure s’appelle la législation par ordonnance, et son intérêt est que les lois écrites par ordonnances s’appliquent tout de suite après leur écriture par le gouvernement, contrairement aux lois ordinaires qui nécessitent un délai pour entrer en vigueur. Ainsi, si le gouvernement veut une loi rapidement, il peut demander au parlement l’autorisation d’écrire une loi qui entrera en application sitôt écrite et promulguée. Ensuite le parlement pourra plus tard rediscuter cette loi, la modifier voire l’abroger, mais cela laisse un temps durant lequel la version écrite par le gouvernement s’applique.
- Plus insidieux encore que les deux premiers points : le gouvernement peut écrire des « règlements autonomes ». Ce sont des textes qui s’appliquent comme des lois, ont la même valeur juridique qu’une loi, mais ne passent à aucun moment par un vote parlementaire, pas plus que par une procédure de législation par ordonnance. Ces textes sont intégralement écrits par le gouvernement sans que celui-ci ne doive rendre de compte à une autre institution.
Cela s’explique par le fait qu’en réalité, quand la constitution française décrit le rôle du gouvernement, elle ne dit pas qu’il exerce le pouvoir exécutif, elle dit : « Le Gouvernement conduit et dirige la politique de la nation » (Article 20, alinéa 1). Tandis qu’elle dit explicitement que le parlement possède le pouvoir législatif par l’article 24, alinéa 1 : « Le Parlement vote la loi ».
Cette description très vague et évasive du rôle du gouvernement fait que, en réalité, ce dernier n’a pas le pouvoir exécutif, il a tous les pouvoirs… ! Il est donc compétent pour émettre seul des textes de loi. Et dans l’Histoire de la V° République, le gouvernement a déjà eu recours à de tels textes, notamment au début, sous De Gaulle.
- Et même pour les lois « légitimes » faites par le parlement, le gouvernement peut initier une procédure de « vote bloqué », ce qui signifie que le parlement doit se prononcer pour ou contre tout ou partie d’une loi, alors que classiquement il vote les lois article par article. Cette procédure permet au gouvernement de faire passer des articles refusés seuls avec d’autres articles, plus populaires, pour être acceptés. C’est grossièrement une procédure de « tout ou rien ».
- Enfin et non des moindres : dans la même idée du « tout ou rien », si c’est la loi dans son ensemble qui déplait au parlement, le gouvernement peut alors « engager sa responsabilité » devant l’Assemblée nationale. Si celle-ci vote une motion de censure dans les 24 heures suivant cette résolution, le gouvernement est forcé à démissionner. Sinon, le gouvernement reste en place, mais la loi initialement rejetée par le parlement est alors considérée comme votée et approuvée. Cette procédure est décrite au troisième alinéa de l’article 49 de la constitution, c’est le fameux « 49.3 ».
C’est une sorte de « c’est ça ou j’me tire ! » que le gouvernement lance au parlement. Ça peut sembler légitime de prime abord, et c’est effectivement envisageable dans une république parlementaire classique, mais dans le régime français, n’oublions pas que le Président nomme le gouvernement et exerce le véritable pouvoir exécutif, et qu’il peut menacer l’Assemblée nationale de la dissoudre si celle-ci ose voter la motion de censure et persister dans son opposition au gouvernement, soutenu par le Président. Et comme il est élu par le peuple, il est légitime à défendre sa politique et donc à dissoudre l’Assemblée nationale, ce qui constitue un formidable moyen de pression sur cette dernière pour qu’elle ne vote pas la motion et renonce à rejeter la loi…

   Notez bien que toutes ces mesures ne sont pas forcément spécifiques du régime français, certaines se retrouvent aussi ailleurs, mais rarement combinées les unes avec les autres, toutes ensemble.
Donc on voit que le pouvoir exécutif est très fort. Et comme il est nommé par le Président, celui-ci élu par le peuple donc en droit de défendre sa politique devant le parlement, le Président est vraiment aux commandes de tout le pays. De plus, d’autres mécanismes viennent encore renforcer la mainmise du Président sur le gouvernement (gouvernement déjà plus fort que le parlement) :
- Celui-ci assiste aux réunions du gouvernement. Non seulement cela, mais il est tout à fait possible qu’il les préside et arbitre les discussions entre les ministres à la place du Premier ministre, ce dernier étant relégué à un rôle de « Vice-président ». Et, en pratique, c’est ce qui se fait.
- Et les règlement autonomes, ordonnances et autres décrets du gouvernement, pour entrer en vigueur, doivent être signés de la main du Président. Or, si la constitution ne dit pas explicitement qu’il a le droit de refuser de les signer, depuis la polémique entre Mitterrand et Chirac, où le Président de l’époque, François Mitterrand, avait refusé de signer des ordonnances du gouvernement du Premier ministre Jacques Chirac, le conseil constitutionnel a donné raison au Président. Le Président peut donc s’opposer aux actions du gouvernement et les bloquer. En plus de participer, et même de présider, les réunions dudit gouvernement.
   On voit donc bien ici que le Président est presque comme une sorte de monarque absolu. D’ailleurs, cette expression existe : il est courant de dire que le Président est un « monarque républicain », un roi absolu élu par le peuple…
   Si ce régime est appelé « semi-présidentiel », et pas plutôt « hyperprésidentiel », c’est bien parce que, dans le droit théorique, il est écrit que c’est le Premier ministre qui dirige le gouvernement, et qu’il est lui-même inféodé au parlement par la menace de la motion de censure ; même si en pratique, c’est le Président qui possède le gros des pouvoirs.
On a donc un régime qui ressemble au régime parlementaire, mais pour lequel quelques modifications basculent complètement les rapports de force, faisant du Président la personne avec le plus de pouvoir politique du régime…

   Ce système est très intéressant à étudier…  Parce qu’il montre absolument tout ce qu’il ne faut pas faire pour un État qui se voudrait démocratique !
Le Président, en tant que personne seule, ne peut être représentatif de la population, et son immense pouvoir face au parlement pourtant plus représentatif que lui conduit irrémédiablement vers un régime autocratique autoritaire. C’est le même argument qui nous fait rejeter le régime présidentiel, si ce n’est que c’est encore pire ici. Puisqu’ici le Président possède un pouvoir de contrôle sur le parlement, là où dans le régime présidentiel à l’américaine, au moins, le président n’a pas de moyen de pression sur le législatif et donc le défaut de représentativité du Président ne concerne que l’exécutif.

4)   L’Exemple suisse comme alternative : le régime directorial
   Le régime suisse est très particulier car son chef du gouvernement est… Plusieurs personnes en même temps !
Enfaite, il s’agit d’un conseil de sept personnes, nommé le « Conseil fédéral ». Ces sept conseillés fédéraux exercent ensemble la fonction de chef de gouvernement, selon un principe de collégialité, comme des « co-Premiers ministres ». Et c’est le Conseil dans son ensemble, qui joue le rôle de Premier ministre. Le principe de collégialité de cette institution oblige les membres du conseil à se mettre d’accord, souvent par des compromis, sur la politique à suivre dans les différents domaines de l’exécutif.
Ces sept conseillers fédéraux sont élus par le parlement, appelés en Suisse l’Assemblée fédérale, pour toute la durée de la législature. Il se renouvelle quand l’Assemblée se renouvelle.
   De plus, en Suisse, le mode de scrutin de l’une des chambres de l’Assemblée fédérale est le scrutin proportionnel, ce qui fait que l’Assemblée est assez multicolore, d’un point de vue politique. Pour faire élire un des leurs au conseil fédéral, les différents partis politiques sont donc obligés de se mettre d’accord ensemble pour établir un conseil fédéral multi-partisan.
Et ça marche ! Actuellement, sur les sept conseillés fédéraux, quatre partis sont représentés. Et des partis très différents : un parti conservateur libéral plutôt centriste et modéré, un autre libéral libertaire, plutôt progressiste, un troisième socialiste et progressiste et un quatrième conservateur, libéral et franchement nationaliste. Mais à coups de compromis, le Conseil fédéral réussis à être stable.
   Historiquement, l’entente entre les partis, appelé là-bas « formule magique », pour faire élire un Conseil fédéral multicolore, n’existait pas. Et comme l’élection des conseillers fédéraux se passe le même jour, avec le même scrutin, les sept conseillés étaient, au début, tous du même bord politique. Donc la politique menée était celle d’un seul et unique parti politique.
Sauf que les Suisses avaient le référendum d’initiative citoyenne en matière révocatoire, nommé dans ce pays « référendum facultatif », ce qui permet au peuple d’abroger une loi qui n’aurait pas son aval.
La conséquence était que quand le pouvoir n’était donné qu’à un seul parti politique, la politique appliquée ne serait donc celle que d’un camp minoritaire, et une bonne part des mesures qui la constituaient étaient rejetées en référendum. Car un seul parti politique n’est pas assez représentatif de la population. Cela a donc contraint les acteurs politiques suisses à coopérer avec le maximum de forces politiques pour minimiser le risque d’échec de leurs projets devant le peuple souverain.
   Les régimes dans lesquels la tête du gouvernement n’est pas une personne unique mais un conseil sont appelé des régimes « directoriaux », en référence à la première république française, qui a été un de ces régimes, et dont le conseil s’appelait le Directoire.
   Le modèle du directoire me semble donc être le mode de gouvernance idéal pour le régime proposé dans ce texte. Si sept est peut-être un peu trop, cinq me semble un bon chiffre pour le nombre de directeurs. Trois et trop peu, et neuf ferait beaucoup trop. Et il est préférable que le nombre de directeurs soit impair, car souvent le compromis entre les directeurs est obtenu en votant, et un nombre impair de votants réduit les chances de partage des voix à égalité.
   Mais ce système de partage du pouvoir exécutif affaiblit le gouvernement, car tout décision de celui-ci doit d’abord être discutée entre les directeurs. C’est donc pour compenser l’affaiblissement du gouvernement, que le parlement doit lui-aussi être divisé. Voilà pourquoi je préconise le bicamérisme. En penchant même plutôt pour un bicamérisme égalitaire, c’est-à-dire que les deux chambres auront des prérogatives similaires, sans que l’une n’ait le dessus sur l’autre. En cas de désaccord entre elles dans la procédure législative, elles pourront effectuer un vote conjoint se réunissant en une seule assemblée pour trancher, comme le font les deux chambres du parlement suisse lorsqu’elles sont en désaccord.
   En ce qui concerne les relations entre parlement et gouvernement, la Suisse adopte un modèle avec quelques éléments de séparation strictes des pouvoirs, à l’américaine, comme le fait qu’il soit impossible pour le parlement de forcer le conseil fédéral à démissionner, bien qu’il l’élise à la place — donc le gouvernement est quand même induit par le parlement — et des éléments de séparation souple, comme la possibilité laissée au conseil fédéral de proposer des lois.
D’autres procédures peuvent peut-être être envisagées, comme la procédure de législation par ordonnance en cas de nécessité d’avoir une loi rapidement, ou l’engagement de la responsabilité du Directoire devant le parlement sur un projet de loi.
Car ce qui pose problème avec cette dernière procédure en France, c’est la menace que représente le Président, soutenant le gouvernement car le dirigeant, et capable de dissoudre la parlement et « légitime » à le faire car élu. Mais comme dans le système proposé ici, le Directoire est élu par le parlement, et qu’il n’y a pas de Président élu par le suffrage direct pour faire pression sur le parlement, cette procédure d’engagement de responsabilité ne peut pas dériver en mesure autoritaire.
   En conclusion, le régime directorial semble être la bonne alternative aux autres régimes pour établir un gouvernement représentatif de la population et une gouvernance stable du pays.

Orphel:
Partie IV. Du Pouvoir judiciaire : Constitution, qui l’interprète et la protège ? Et de quelles dérives se méfier ?
   La Constitution d’un État se voulant démocratique doit être la protection inviolable contre les abus de pouvoirs de la part des responsables politiques, ainsi que la garantie du respect des droits et liberté fondamentales des individus et des citoyens. Elle doit également décrire la procédure normale du fonctionnement de l’État, afin que chaque institution se voit attribuer un rôle précis pour qu’aucune d’elle ne puisse abuser de son autorité. Protéger la Constitution est donc capital. Et il est nécessaire d’avoir une juridiction fiable pour contrôler que la Constitution soit respectée à tout instant. Mais quelle doit être la forme d’une telle institution ? Comment doit être formée la « Cours constitutionnelle » ?
Dans la totalité ou presque des régimes représentatifs, cette Cours constitutionnelle est nommée par les élus, soit par élection, soit par nomination direct du Chef d’État ou d’un autre élu. Mais ce mode de désignation a quelque chose de dérangeant : si la Cours constitutionnelle a pour but d’empêcher les abus de pouvoir des responsables politiques, pourquoi est-ce ces responsables politiques-là qui nomment les juges de cette Cours ? Il y a très clairement des liens d’intérêt…
Donc il faut trouver un autre moyen. L’élection au suffrage direct ? Non : qui dit élection dit programme électoral et donc idéologie et orientation politiques. Le choix de l’orientation politique doit se faire lors de l’élection du parlement, pas des juges constitutionnels.
Il ne reste pas vraiment énormément d’options : seul reste le tirage au sort dans la population à ce moment-là… Mais dans quelle population tirer au sort, la population générale ? Ce choix est tentant, mais généralement, on aimerait profiter du fait que cette Cours juge si les lois et les actions gouvernementales sont en accord avec la constitution, pour qu’elle vérifie aussi s’ils respectent les traités internationaux. Il y a donc nécessité d’une très bonne connaissance du Droit. En conséquence, seul le tirage au sort parmi les professionnels du Droit me semble faisable.
   Mais en faisant cela, on s’expose à un problème : si les décisions de cette Cours sont sans appel (ce qui sera le cas), comment peut-on garantir que les juges tirés au sort ne vont pas imposer leur propre interprétation de la constitution, très différente de l’interprétation commune ? Si les décisions de cette Cours sont définitives, alors elle a tout le loisir de manipuler les responsables politique, en interdisant leurs actions, au prétexte qu’elle estime que la Constitution est violée alors que les juges en feraient une lecture très particulière, minoritaire dans la population générale. Comment donc se prémunir du fait que cette Cours impose sa lecture de la constitution, son idéologie, et mette en place ce qu’on appelle le « gouvernement des juges » ?
Une bonne idée pour cela, serait de doubler la Cours. D’en avoir deux plutôt qu’une, selon le même mode de désignation de leurs membres (désignés par le sort parmi les professionnels du droit). Ainsi, l’action gouvernementale ou la loi étudiée ne sera interdite que si chacune des deux chambres l’estime anticonstitutionnelle. De cette manière, chaque action gouvernementale sera déposée devant une chambre, n’importe laquelle. Si la chambre valide l’action, l’action est considérée comme conforme à la Constitution, et dans le cas contraire, l’action sera évaluée par la seconde chambre qui sera chargée de trancher. Ce système, nécessitant l’interdiction de la part de deux chambres désignées selon le même mode, limite la possibilité pour les juges désignés de faire valoir leur idéologie, car les deux chambres doivent être en accord pour interdire une mesure ou une loi.
Voilà donc comment fonctionnerait le « Tribunal constitutionnel » et ses deux chambres dans le régime proposé.

Orphel:
Partie V. Du Pouvoir judiciaire : Juger les élus, la Justice au service de la Démocratie
   En plus de protéger la constitution, la Justice doit aussi s’assurer, dans le cadre du RIC et du mandat impératif, que les responsables politiques respectent également la volonté générale démocratiquement exprimée. On avait parlé à plusieurs reprises d’une juridiction particulière pour faire en sorte que les élus, dont le mandat est impératif, respectent les termes de leurs mandats, ainsi que les décisions référendaires. Mais quelle serait la nature exacte de cette juridiction ?
Dans le cas d’une transgression d’une décision prise par RIC, c’est le « comité de protection référendaire » qui sera chargé d’empêcher les élus d’enfreindre lesdites décisions référendaires. Mais dans le cas d’une action qui irait, non pas à l’encontre d’une décision référendaire, mais d’un des deux textes que l’élu avait présenté lors de sa campagne électorale, et qu’il s’était engagé à respecter dans le cadre du mandat impératif, qui sera compétent pour juger de son respect ?
Il y a une chose à bien comprendre : enfreindre les engagements pris dans le cadre du mandat impératif pourra — et devra — être inscrit comme illégale dans la loi. Il s’agit donc pour veiller à ce que cette interdiction soit respectée. Et pour ce faire on pourrait penser à une juridiction spéciale pour juger les élus quand ils enfreignent la loi — y compris le caractère impératif de leur mandat.
   Actuellement, en France, il y a une juridiction qui a cette compétence : la Cours de Justice de la République. Mais… Comment sont nommés les juges, dans cette institution ?
Eh bien la Cours de Justice de la République française et constituée de quinze juges, dont douze sont… Des membres du parlement !
Des élus ! Chargé de juger les autres élus… Et non seulement ça, mais en plus les douze parlementaires sont désignés en étant élus par leurs collègues parlementaires. Donc, si on résume, les juges de cette institution chargée de juger les responsables politiques sont des eux-mêmes des responsables politiques, et ils sont élus par leurs collègues. Donc des responsables politiques, élus par leurs collègues, pour juger leurs collègues responsables politiques…
Cette « Cours d’Injustice de la République » comme elle mérite plutôt d’être appelée, n’est donc qu’une vaste blague tant les liens d’intérêt en son sein y sont flagrants…
   Cependant, une juridiction pour punir les élus s’ils enfreignent la loi dans le cadre de leur fonction est une bonne idée. Mais il faut absolument que ses membres soient des juristes désignas par voie indépendante des responsables politiques. Ce sera une sorte de « Cours de Justice de la Démocratie »
De plus, les juges seront accompagnés d’un jury de citoyens tirés au sort. Mais dans le cas d’une transgression d’une décision prise en RIC, le jury de citoyens tirés au sort sera différent d’un jury ordinaire : les citoyens choisis pour former le jury chargé de telles affaires seront désignés par tirage au sort parmi les signataires du lancement du référendum. Ils seront différents de ceux désignés pour faire partie du « comité de protection du référendum » dont il était question plus haut. Rappelons que le « comité de protection du référendum » dont il était question dans la première partie de ce texte, a pour fonction — entre autres — d’interdire des actions des responsables politiques qui iraient à l’encontre du référendum ou de son esprit. Ce comité pourra décider d’assigner en Justice, devant la Cours de Justice de la Démocratie, lesdits responsables s’il estime que les transgressions sont si répétées, ou si flagrantes, qu’elles méritent une sanction. Mais c’est bien la Cours de Justice de la Démocratie qui décidera si les transgressions méritent vraiment une sanction. Mais l’accusateur ne pouvant pas être le juge, le jury doit être constitué de signataires du lancement du référendum (car ce sont des personnes ayant compris l’esprit du référendum, et en accord avec son principe, ils sont donc à même de le défendre), mais différents de ceux qui composent déjà le comité citoyen.

   Néanmoins, il est question ici d’empêcher les élus d’agir dans le cadre de leur fonction. Ces juridictions ont donc un très puissant pouvoir car elle peut annuler les mesures ou les actions d’un élu, voire sanctionner ces derniers. Pour éviter que ces institutions ne soient tyranniques, les élus pourront demander un second jugement, aussi bien pour ceux rendus par la Cours de Justice de la Démocratie, que par le Comité de protection du référendum.
Dans les deux cas, l’appel sera porté devant la Cours de Justice de la démocratie (un autre juge et un autre jury si la décision contestée est une décision de cette même Cours). La Cours pourra alors décider d’annuler les décisions prises antérieurement, ou de les confirmer. Elle pourra aussi décider, si elle estime le Comité de protection référendaire trop tyrannique, de le dissoudre et d’en faire désigner un nouveau (toujours par tirage au sort). Mais son jugement sera, cette fois-ci, définitif et sans possibilité d’appel. De plus, le jury chargé d’épauler le juge, dans une procédure d’appel suite à la décision d’un comité de protection du référendum, sera constitué de citoyens tirés au sort parmi d’autres signataires du lancement du référendum. Toujours parce que ce sont des gens qui comprennent l’esprit du référendum et qui sont d’accord avec, donc ce sont les plus à même de le défendre.

Orphel:
Partie VI. Les institutions au niveau local
   Au niveau local, plusieurs éléments diffèrent. Tout d’abord, il n’y a pas de pouvoir législatif, en tout cas dans les États unitaires, donc les institutions à mettre en place sont moins nombreuses. Ensuite, les citoyens eux-mêmes sont moins nombreux.
Et ce deuxième point, par exemple, retire une critique qui a pu être faite à l’encontre du tirage au sort sur sa représentativité : une assemblée locale désignée par le sort sera, pour un même nombre de membres, plus facilement représentative qu’une assemblée nationale.
   Par contre, sur ce que disait Tocqueville au sujet de la responsabilisation des citoyens, la critique reste valide.
Tocqueville supposait que le tirage au sort, parce qu’il obligeait les citoyens à s’occuper des affaires publiques, responsabilisait ceux-ci. Un doute avait été émis sur la pertinence d’une telle observation car les citoyens tirés au sort sont très peu nombreux, alors que l’élection permet et oblige chacun d’entre eux à se renseigner sur la politique, on aurait pu penser que l’élection, donc, responsabilise peut-être moins les citoyens, mais en responsabilise un plus grand nombre, car s’adressant à tous. On aurait pu penser que, l’assemblée représentant une part plus importante de la population (pourvue qu’elle garde la même taille qu’au niveau national), les citoyens auraient eu plus de chance d’être désignés, et donc auraient été plus nombreux avoir été aux responsabilités politiques et à avoir été responsabilisés par le tirage au sort.
Malheureusement ce n’est pas le cas car même au niveau local, une assemblée ne serait pas assez nombreuse. Par exemple, pour une assemblée de 400 membres, belle assemblée, représentant une population de 400 000 citoyens, taille moyenne approximative d’un département français, si le mandat de cette assemblée est de cinq ans, la probabilité d’être désigné membre de cette assemblée au moins une fois dans sa vie est de… Moins de 1 %...
   Mais c’est là qu’intervient une chose très importante à prendre en compte : la taille de l’échelon local en question. On peut considérer qu’il y a deux types d’échelons locaux : ceux de (très) petites tailles ou plusieurs limites du tirage au sort disparaissent, et les échelons moyens à grands où les limites du tirage au sort sont les mêmes qu’au niveau national.
On peut considérer qu’une collectivité appartient à la première catégorie quand, pour une assemblée de 500 membres désignés pour quatre ans, la probabilité d’être tiré au sort au moins une fois dans sa vie est supérieure ou égale à 50 %. Autrement dit, dans ces collectivités, environs un habitant sur deux aurait été aux responsabilités au moins une fois. Les collectivités de la deuxième catégorie sont celle pour lesquelles la probabilité d’être désigné au moins une fois tombe en dessous de 50 %.
Et cette taille en question, ce nombre d’habitants pour lequel une collectivité appartient soit à la première catégorie, soit à lé deuxième, est de 10 000. Si une collectivité contient moins de 10 000 habitants, la moitié d’entre eux seront désignés au moins une fois si le conseil en charge de la collectivité est de 500 membres et est renouvelé tous les 4 ans.
   En France métropolitaine, par exemple, cette catégorie de « petites collectivités » regroupe plus de 97 % des communes. Les 3 % restants, ainsi que les départements et les régions, appartiennent à la catégorie des « moyennes et grandes collectivités ».
   Les institutions peuvent être différents suivant la catégorie à laquelle appartient la collectivité :
Dans les moyennes et grandes collectivités, le conseil en charge des responsabilités pourra être élu plutôt que tiré au sort. Comme il n’y a qu’un seul conseil, on peut choisir le jugement majoritaire, comme scrutin, et diviser la collectivité en circonscriptions. C’est un bon système pour les départements et les régions. Mais diviser une commune en circonscription peut paraître trop, donc pour les 3% de grandes communes, peut-être serait-il mieux de faire un scrutin à la circonscription unique en deux tours : un premier au scrutin proportionnel radical, qui attribuerait les deux premiers tiers du conseil municipal, puis un deuxième tour au scrutin de Condorcet, où le dernier tier serait entièrement attribué à la liste vainqueur. En cas d’absence de vainqueur, ce qui serait rare mains toutefois possibles, un troisième tour sera fait au jugement majoritaire.
Par contre, dans les petites collectivités que sont la quasi-totalité des communes françaises, le tirage au sort peut être appliqué. Avec un conseil dont la taille peut varier selon la taille de la commune, mais doit rester assez grand : quelques centaines de personnes, afin de garder cette proportion d’environ 50 % de gens ayant été désignés au moins une fois dans leur vie. Éventuellement, ou pourrait baisser ce nombre à 30, voire 25 %, mais difficilement plus bas.
   J’attire votre attention sur une troisième limite du tirage au sort qui existe au niveau national mais pas à de tels échelons : l’impossibilité de siéger pour certaines personnes. En effet, certaines personnes seraient contraintes de refuser leur désignation au tirage au sort au niveau national car elles ne pourraient pas quitter leur travail. Mais au niveau municipal, la charge de travail est moins importante et les réunions beaucoup moins fréquentes. En France, par exemple, il n’y a obligation pour les conseils municipaux de ne se réunir au minimum qu’une seule fois par trimestre, ce n’est peut-être pas un exemple à suivre mais c’est pour illustrer qu’il y a moins de choses à gérer au niveau municipal qu’au niveau national. En plus, si l’assemblée fait quelques centaines de personnes, le travail peut très bien être partagé entre ses membres. La gestion d’une commune peut faire moins peur que la gestion d’une nation. Mais surtout, les désignés ne seront pas contraints traverser le pays pour se rendre à la capitale : ils sont déjà sur place. Tout cela rend le poste de conseiller municipal beaucoup plus conciliable avec un travail à côté.
   J’aimerais aussi faire remarquer qu’il existe encore une troisième catégorie de collectivités : les très petites communes quelques centaines d’habitants au plus. Celles-ci peuvent être conduites à la démocratie directe pure, où l’intégralité des habitants peuvent se constituer en assemblée. C’est ce que je recommande pour les communes de 200 habitants ou moins.
   Quoi qu’il en soit, le référendum d’initiative citoyenne au niveau local doit aussi pouvoir exister si l’on veut considérer la gestion de la collectivité comme « démocratique ». Ce référendum pourra imposer ou annuler des mesures ou des projets. Mais il faut aussi penser à des référendums de révocation des élus pour provoquer de nouvelles élections, élément de contrôle des responsables politiques.

   En conclusion, on a vu que les collectivités de plus dix-milles habitantes devraient plutôt être gérées par des conseil élus dont le mode de scrutin doit être adapté à la taille des collectivités en question, pour les collectivités moins grandes, soit la quasi-totalité des communes française, le tirage au sort devient une alternative très intéressante, et la Démocratie directe peut même être appliquée dans les très petites communes.

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